ARTICLE III : L'Eglise ne peut pas périr
Je serai d'autant plus bref ici, que ce que je déduirai au chapitre suivant sert d'une forte preuve à cette créance de l'immortalité de l'Eglise et de sa perpétuité. On dit donc, pour détraquer le joug de la sainte soumission qu'on doit à l'Eglise, qu'elle avait péri il y a quatre-vingt et tant d'années, morte, ensevelie, et la sainte lumière de la vraie foi éteinte : c'est un blasphème pur que tout ceci contre la Passion de Notre Seigneur, contre sa providence, contre sa bonté, contre sa vérité.
Ne sait-on pas la parole de Notre Seigneur même : " Si je suis une fois élevé de terre j'attirerai à moi toutes choses ? " (Jean, 12 : 32) N'a-t-il pas été élevé en la Croix ? N'a-t-il pas souffert ? Et comment donc aurait-il laissé aller l'Eglise qu'il avait attirée, à vau-de-route [en fuite, en pleine déroute] ? comment aurait-il lâché cette prise qui lui avait coûté si cher ? Le prince du monde, le diable, avait-il été chassé (vers 31) avec le saint bâton de la Croix pour un temps de trois ou quatre cens ans pour revenir maîtriser mille ans ? Voulez-vous évacuer en cette sorte la force de la Croix ? Etes-vous arbitres de si bonne foi que de vouloir si iniquement partager Notre Seigneur, et mettre désormais une alternative entre sa divine bonté et la malice diabolique ? Non, non, quand un fort et puissant guerrier garde sa forteresse tout y est paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il lui lève les armes et le dépouille (Luc, 11 : 21-22). Ignorez-vous que Notre Seigneur s'est acquis l'Eglise par son sang (Actes, 20 : 28) ? Et qui pourra la lui enlever ? Pensez-vous qu'il soit plus faible que son adversaire ? Ah ! je vous prie, parlons honorablement de ce capitaine; et qui donc ôtera d'entre ses mains son Eglise ? Peut-être dires-vous qu'il peut la garder mais qu'il ne le veut; c'est donc sa providence, sa bonté, sa vérité que vous attaquez.
La bonté de Dieu a donné des dons aux hommes, montant au ciel, des apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs, docteurs, pour la consommation des saints, en l' œuvre du ministère pour l'édification du corps de Jésus-Christ (Ephésiens, 4 : 8 et 11-12). La consommation des saints était-elle déjà faite il y a onze cents ou douze cents ans ? L'édification du corps mystique de Notre Seigneur, qui est l'Eglise, avait-elle été parachevée ? Ou cessez de vous appeler édificateurs, ou dites que non; et si elle n'avait pas été achevée, comme de fait elle ne l'est pas même maintenant, pourquoi faites-vous ce tort à la bonté de Dieu que de dire qu'il ait ôté et enlevé aux hommes ce qu'il leur avait donné ? C'est une des qualités de la bonté de Dieu que, comme dit saint Paul, ses dons et ses grâces sont irrévocables (Romains; 11 : 29), c'est-à-dire qu'il ne les donne pas pour les ôter ensuite. Sa divine Providence, dès qu'elle eut créé l'homme, le ciel, la terre, et ce qui est au ciel et sur la terre, les conserva et conserve perpétuellement, en façon que la génération du moindre oisillon n'est pas encore éteinte; que dirons-nous donc de l'Eglise ? Tout ce monde ne lui coûta de premier marché qu'une simple parole : Il le dit et tout fut fait (Psaumes, 148 : 5), et il le conserve avec une perpétuelle et infaillible Providence; comment, je vous prie, eut-il abandonné l'Eglise qui lui coûte tout son sang, tant de peines et de travaux ? Il a tiré Israël de l'Egypte, des déserts, de la mer Rouge, de tant de calamités et captivités, et nous croirons qu'il a laissé s'enfermer le christianisme en l'incrédulité ? Il a tant eu de soin du fils de l'esclave qui devait être chassé hors de la maison d'Abraham (Genèse, 21 : 10-12), et n'aura tenu compte l'Epouse légitime ? Il aura tant honoré l'ombre, et il abandonnera le corps ? O que ce serait bien pour néant que tant et tant de promesses auraient été faites de la perpétuité de cette Eglise.
C'est de l'Eglise que le Psalmiste chante : " Dieu l'a fondée en éternité " (Psaumes, 43 : 8) ; Son trône (il parle de l'Eglise, trône du Messie, fils de David, en la personne du Père éternel) sera comme le soleil devant moi, et comme la lune parfaite en éternité, et le témoin fidèle au ciel (Psaumes, 88 : 37); " Je mettrai sa race dans les siècles des siècles et son trône comme les jours du ciel ", c'est-à-dire, autant que le ciel durera, c'est-à-dire autant que le ciel durera (Psaumes, 88 : 30); Daniel l'appelle Royaume qui ne se dissipera point éternellement (Daniel, 2 : 44), l'Ange dit à Notre-Dame que ce royaume n'aurait point de fin (Luc, 1 : 33), et parle de l'Eglise comme nous le prouvons ailleurs (de la visibilité de l'Eglise art 1); Isaïe n'avait-il pas prédit (53 : 10) en cette façon de Notre Seigneur : S'il met et expose sa vie pour le péché il verra une longue race, c'est-à-dire, de longue durée ? Et ailleurs (61 : 8) : " Je ferai une alliance perpétuelle avec eux "; après (vers 9) : Tous ceux qui les verront (il parle de l'Eglise visible) les connaîtront ? Mais, je vous prie, qui a baillé charge à Luther et Calvin de révoquer tant de saintes et solennelles promesses que Notre Seigneur a faites à son Eglise, de perpétuité ? N'est-ce pas Notre Seigneur qui, parlant de l'Eglise, dit que les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (Matthieu, 16 : 18) ? Et comment vérifiera-t-on cette promesse si l'Eglise a été abolie mille ans ou plus ? Et ce doux adieu que Notre Seigneur dit à ses Apôtres : " Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi ", comment l'entendrons-nous si nous voulons dire que l'Eglise puisse périr ? Mais voudrions-nous bien casser la belle règle de Gamaliel qui, parlant de l'Eglise naissante, usa de ce discours : Si ce conseil ou cette œuvre est des hommes, elle se dissipera, mais si elle est de Dieu, vous ne saurez la dissoudre ? L'Eglise n'est ce pas l'œuvre de Dieu ? Et comment donc dirions-nous qu'elle soit dissipée ? Si ce bel arbre ecclésiastique avait été planté de main d'homme, j'avouerais aisément qu'il pourrait être arraché, mais ayant été planté de si bonne main qu'est celle de Notre Seigneur, je ne saurais conseiller à ceux qui entendent crier à tous propos que l'Eglise avait péri, sinon ce que dit Notre Seigneur : Laissez-là ces aveugles, car toute plante que le Père céleste n'a pas plantée sera arrachée (Matthieu, 15 : 13-14), mais celle que Dieu a plantée ne sera point arrachée.
Saint Paul dit que tous doivent être vivifiés chacun en son ordre; les prémices ce sera Christ, puis ceux qui sont de Christ, puis la fin; entre Christ et les siens, à savoir l'Eglise, il ni a rien d'entre deux, car montant au ciel il les a laissés en terre, entre l'Eglise et la fin il ni a point d'entre deux, d'autant qu'elle devait durer jusqu'à la fin. Quoi ? Ne fallait-il pas que Notre Seigneur régnât au milieu de ses ennemis jusqu'à ce qu'il eut mis sous ses pieds et assujetti tous ses adversaires (Psaumes, 109 : 1, 2 et 3; 1 Corinthiens, 15 : 25) ? Et comment s'accompliront ces autorités si l'Eglise, Royaume de Notre Seigneur, avait été perdue et détruite ? Comment régnerait-il sans royaume, et comme régnerait-il parmi ses ennemis s'il ne régnait pas ici-bas sur le monde ?
Mais, je vous prie, si cette Epouse fut morte après que du côté de son Epoux endormi sur la Croix elle eut premièrement la vie, si elle fut morte, dis-je, qui l'eut ressuscitée ? Ne sait-on pas que la résurrection des morts n'est pas moindre miracle que la création, et beaucoup plus grand que la continuation et conservation ? Ne sait-on pas que la re-formation de l'homme est un bien plus profond mystère que la formation, et qu'en la formation Dieu dit, et il fut fait (Psaumes, 148 : 5) ? Il inspira l'âme vivante (Genèse, 2 : 7), et il ne l'eut pas si tôt inspirée que ce céleste homme commença à respirer; mais en la re-formation Dieu employa trente-trois ans, sua le sang et l'eau, mourut même sur cette re-formation. Et qui donc sera si osé de dire que cette Eglise est morte, il accuse la bonté, la diligence et le savoir de ce grand re-formateur, et qui se croit être le re-formateur ou "ressuscitateur" de celle-ci, il s'attribue l'honneur dû à un seul Jésus-Christ, et se fait plus qu'Apôtre. Les Apôtres n'ont pas remis l'Eglise en vie, mais la lui ont conservée par leur ministère après que Notre Seigneur l'eut établie; qui donc dit que l'ayant trouvé morte il l'a ressuscitée, à votre avis ne mérite-t-il pas d'être assis sur le trône de témérité ? Notre Seigneur avait mis le saint feu de sa charité au monde (Luc, 12 : 49), les Apôtres avec le souffle de leur prédication l'avaient accru et fait courir par tout le monde : on dit qu'il était parmi les eaux d'ignorance et d'iniquité; qui pourra le rallumer ? Le souffler ne sert de rien, et quoi donc ? Il faudrait peut-être rebattre de nouveau avec les clous et la lance sur Jésus-Christ, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu, ou s'il suffira que Calvin ou Luther soient au monde pour le rallumer ? Ce serait bien en vérité des troisièmes Elie, car ni Elie ni saint Jean-Baptiste n'en firent jamais autant; ce serait bien laisser tous les Apôtres en arrière, qui portèrent bien ce feu par le monde, mais ils ne l'allumèrent pas. " O voix impudente ", dit saint Augustin contre les Donatistes : " l'Eglise ne sera pas par ce que tu ni es point ? ". " Non, non ", dit saint Bernard, " les torrents sont venus, les vents ont soufflé (Matthieu, 7 : 25) et l'ont combattue, elle n'est point tombée parce qu'elle était fondée sur la pierre, et la pierre était Jésus-Christ (1 Cor 10, 4) ". Et n'est-ce pas la même chose de dire que l'Eglise a manqué ou de dire que tous nos devanciers sont damnés ? Oui, pour vrai, car hors de la vraie Eglise il ni a point de salut, hors de cette Arche tout le monde se perd. O quel contre change on fait à ces bons Pères qui ont tant souffert pour nous préserver l'héritage de l'Evangile, et maintenant, outrecuidants que sont les enfants, on se moque des Pères, on les tient pour fous et insensés.
Je veux conclure cette preuve avec saint Augustin, et parler à vos ministres : " Que nous apportes-vous de nouveau ? Faudra-il encore une fois semer la bonne semence, puisque dès qu'elle est semée elle croît jusqu'a la moisson (Matthieu, 13 : 30-43) ? Si vous dites être partout perdue celle que les Apôtres avaient semée, nous vous répondons : lisez-nous ceci dans les Saintes Ecritures, ce que pour vrai vous ne lirez jamais que premièrement vous ne nous montriez être faux ce qui est écrit, que la semence qui fut semée au commencement croîtrait jusqu'au temps de la moissons. La bonne semence ce sont les enfants du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moisson c'est la fin du monde (vers 38 et suiv.). Ne dites pas donc que la bonne semence est abolie ou étouffée, car elle croît jusqu'à la consommation des siècles ".
Article IV LES CONTRE RAISONS DES ADVERSAiRES ET LEURS RÉPONSES
1. - L'Eglise ne fut-elle pas toute abolie quand Adam et Eve péchèrent ? Réponse : Adam et Eve n'étaient pas Eglise, mais plutôt le commencement de l'Eglise; et il n'est pas vrai qu'elle fut perdue, car ils ne péchèrent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire.
2. - Aaron, souverain Prêtre, n'adora-t-il pas le veau d'or avec tout son peuple ? Réponse : Aaron n'était encore pas souverain Prêtre ni chef du peuple (Exode, 4 : 16), mais plutôt le fut par après (Exode, 40 : 12-13, Exode, 31, Exode 32); et il n'est pas vrai que tout le peuple était idolâtre, car les enfants de Lévi n'étaient-ils pas des gens de Dieu ? et ne se joignirent-ils pas à Moïse (Exode, 32 : 26) ?
3. - Elie se plaint d'être seul en Israël. Réponse : Elie n'était pas le seul homme de bien en Israël, puisqu'il y avait 7000 hommes qui ne s'étaient pas abandonnés à l'idolâtrie (3 Rois, 19 : 18), et ce qu'en dit le prophète n'est que pour mieux exprimer la justice de sa plainte; et n'est pas vrai qu'encore que tout Israël eut manqué l'Eglise pourtant eut été abolie, car Israël n'était pas toute l'Eglise, mais plutôt en était déjà séparé par le schisme de Jéroboam, (12 : 31 et 28), et le royaume de Juda en était la meilleure et la principale partie; c'est d'Israël non de Juda, aussi, de quoi Azariahou prédit (2 Chroniques, 15 : 3) qu'il serait sans prêtre et sacrifice .
4. - Isaïe dit (1 : 6) que de pied en cap il n'y avait aucune santé en Israël. Réponse : Ce sont des façons de parler, et de détester le vice d'un peuple avec véhémence; et encore que les prophètes, pasteurs et prédicateurs usent de ces générales façons de parler, il ne faut pas les vérifier sur chaque particulier, mais seulement sur une grande partie, comme il appert par l'exemple d'Elie, qui se plaignait d'être seul, et néanmoins il y avait encore 7000 fidèles. Saint Paul se plaint aux Philippiens (Phil., 2 : 21) que chacun recherchait son propre intérêt et commodité, néanmoins, à la fin de l'Epître, il confesse qu'il y en avait plusieurs gens de bien de part et d'autre. Qui ne sait la plainte de David (Psaumes, 13 : 4) : " Il n'y a pas un seul qui fasse le bien, pas même un seul " ? Ces façons de parler sont fréquentes, mais il n'en faut faire conclusion particulière sur un chacun; davantage, on ne prouve pas par là que la foi eut manqué en l'Eglise, ni que l'Eglise fut morte, car il ne s'ensuit pas, si un corps est partout malade donc il est mort. Ainsi sans doute s'entend (St Aug. De unit Eccles., c. x) tout ce qui se trouve de semblable dans les menaces et répréhensions des Prophètes.
5. - Jérémie défend (7 : 4) qu'on ne se confie point au mensonge, disant, le Temple de Dieu, le Temple de Dieu. Réponse : Qui vous dit que sous prétexte de l'Eglise il faille se confier au mensonge ? Ainsi, au contraire, qui s'appuie au jugement de l'Eglise s'appuie sur la colonne et fermeté de vérité (1 Timothée, 3 : 15), qui se fie à l'infaillibilité de l'Eglise ne se fie pas au mensonge, si ce n'est mensonge ce qui est écrit : " Les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle " (Matthieu, 16 : 18). Nous nous fions donc en la sainte parole qui promet perpétuité de l'Eglise.
6. - N'est il pas écrit qu'il faut que l'apostasie vienne et que soit apparu l'homme d'iniquité (2 Thessaloniciens, 2 : 3), et que le sacrifice cessera (Daniel, 12 : 11), et qu'à grand peine le Fils de l'homme trouvera la foi en terre à son second retour visible, quand il viendra juger (Luc, 18 : 8) ? Réponse : Tous ces passages s'entendent de l'affliction que fera l'Antichrist en l'Eglise les trois ans et demi qu'il y régnera puissamment (Daniel, 7 : 25 et chapitre 12; Apocalypse, 11 : 2 et 12, 14) ; nonobstant cela, l'Eglise durant ces trois ans même ne manquera pas, mais plutôt sera nourrie et conservée parmi les déserts et solitudes où elle se retirera, comme dit l'Ecriture (Apoc 12, 14).
Article V QUE L'ÉGLISE N'A JAMAIS ETE DISSIPÉE NI CACHÉE
La passion humaine peut tant sur les hommes qu'elle les pousse à dire ce qu'ils désirent avant d'en avoir aucune raison, et quand ils ont dit quelque chose, elle leur fait trouver des raisons où il n'y en a point. Y a-t-il un homme de jugement au monde qui ne connaisse clairement, quand il lira l'Apocalypse de saint Jean, que ce n'est pas pour ce temps qu'il est dit (c'est-à-dire, l'Eglise) s'enfuit la solitude ?
Les Anciens avaient sagement dit que bien savoir reconnaître la différence des temps dans les Ecritures était une bonne règle pour bien les entendre, faute de quoi les Juifs à tous coups s'équivoquent, attribuant au premier avènement du Messie ce qui est proprement dit du second, et les adversaires de l'Eglise encore plus lourdement, quand ils veulent faire l'Eglise telle des saint Grégoire jusqu'à cet âge qu'elle doit être du temps de l'Antichrist. Ils tournent à ce biais ce qui est écrit en l'Apocalypse (12 : 6 et 14), disent que la femme s'enfuit en la solitude, et prennent conséquence que l'Eglise a été cachée et secrète, épouvantée par la tyrannie du Pape, il y a mille ans, jusqu'à ce qu'elle se soit produite en Luther et en ses adhérents. Mais qui ne voit que tout ce passage respire la fin du monde et la persécution de l'Antichrist ? Le temps y étant déterminé expressément de trois ans et demi (6 et 14), et en Daniel aussi (Daniel, 12 : 7); et qui voudrait par quelque glose entendre ce temps que l'Ecriture a déterminé, contredirait tout ouvertement Notre Seigneur, qui dit qu'il sera plutôt écourté, pour l'amour des élus (Matthieu, 24 : 22). Comment donc osent-ils transporter cet écrit à une intelligence si éloignée de l'intention de l'auteur, et si contraire à ses propres circonstances ? Sans vouloir regarder à tant d'autres paroles saintes qui montrent et assurent haut et clair que l'Eglise ne doit jamais être si cachée dans les solitudes jusqu'à cette extrémité-là, et pour si peu de temps, ou on la verra fuir, d'où on la verra sortir. Je ne veux plus ramener tant de passages déjà notés ci-dessus (art. 1), où l'Eglise est dite semblable au soleil, lune, arc-en-ciel (Psaumes, 88 : 37), à une reine (Psaumes, 44 : 10 et 14), à une montagne aussi grande que le monde (Daniel, 2 : 35), et un monde d'autres; je me contenterai de vous mettre en tête deux grandes colonnes de l'ancienne Eglise, des plus vaillants qui furent jamais, saint Augustin et saint Jérôme.
David avait dit : " Le Seigneur est grand et trop plus louable en la cité de Notre Dieu, en sa sainte montagne ". " C'est la cité ", dit saint Augustin, " mise sur la montagne ", qui ne peut se cacher, c'est la lampe qui ne peut être scellée sous un tonneau, connue de tous, à tous fameuse, car il s'ensuit : " Le mont Sion est fondé avec grande joie de l'univers ". Et de fait, Notre Seigneur, qui disait que personne n'allume la lampe pour la couvrir sous le boisseau (Matthieu, 5 : 15), comment eut-il mis tant de lumières en l'Eglise pour les aller cacher en certains recoins inconnus ? Il poursuit : " Voici le mont qui remplit l'universelle face de la terre, voici la cité de laquelle il est dit : " La cité ne se peut cacher qui est située sur le mont " (Matthieu, 5 : 14). Les Donatistes (les Calvinistes) rencontrent le mont, et quand on leur dit, mont, ce n'est pas une montagne, disent-il, et plutôt y donnent et l'heurtent de front que d'y chercher une demeure. Isaïe, qu'on lisait hier, cria : " Il y aura dans les derniers jours un mont préparé, la Montagne de la maison du Seigneur, à la tête des montagnes, et vers laquelle toutes les nations afflueront " (2 : 2). Qu'y a-t-il de si apparent qu'une montagne ? Mais il se fait des monts inconnus parce qu'ils sont assis sur un coin de la terre. Qui d'entre vous connaît l'Olympe ? Personne, certes, ni plus ni moins que les habitants de l'Olympe ne savent ce qu'est notre mont Chidabbe; ces monts sont retirés en certains quartiers, mais le mont d'Isaïe n'est pas de même, car il a rempli toute la face de la terre. La pierre taillée du mont sans œuvre manuelle (Daniel, 2 : 34-35), n'est ce pas Jésus-Christ, descendu de la race des Juifs sans œuvre de mariage ? Et cette pierre ne fracassa-t-elle pas elle-même tous les royaumes de la terre, c'est-à-dire, toutes les dominations des idoles et démons ? Ne s'accrut-elle pas jusqu'à remplir tout l'univers ? C'est donc de ce mont qu'il est dit, préparé sur la cime des monts; c'est un mont élevé sur le sommet de tous les monts, et toutes les nations se rendront vers celui-ci. Qui se perd et s'égare au sujet de ce mont ? Qui choque et se casse la tête en celui-ci ? Qui ignore la cité mise sur le mont ? Mais non, ne vous émerveillez pas qu'il soit inconnu à ceux-ci qui haïssent les frères, qui haïssent l'Eglise, car, par ce, vont-ils en ténèbres et ne savent où ils vont, ils se sont séparés du reste de l'univers, ils sont aveugles de mal talent. Ce sont les paroles de saint Augustin contre les Donatistes, mais l'Eglise présente ressemble si parfaitement à l'Eglise première, et les hérétiques de notre âge aux anciens, que, sans changer autre que les noms, les raisons anciennes combattent autant collet à collet les Calvinistes, comme elles faisaient des anciens Donatistes.
Saint Jérôme (Adver Lucifer, 14, 15) entre en cette escarmouche d'un autre côté, qui vous est bien aussi dangereux que l'autre, car il fait voir clairement que cette dissipation [dispersion] prétendue, cette retraite et cachette, abolit la gloire de la Croix de Notre Seigneur; car, parlant à un schismatique réuni à l'Eglise, il dit ainsi : " Je me réjouis avec toi, et rends grâce à Jésus-Christ mon Dieu, de ce que tu t'es réduit de bon courage de l'ardeur de fausseté au goût et saveur de tout le monde; et ne dis pas comme quelques-uns : O Seigneur, sauve-moi, car le saint a manqué (Psaumes, 11 : 1 ), desquels la voix impie évacue la Croix de Jésus-Christ, assujettit le Fils de Dieu au diable, et le regret que le Seigneur a proféré des pécheurs (Psaumes, 29 : 10), il l'entend être dit de tous les hommes. Mais déjà n'advienne que Dieu soit mort pour néant; le puissant est lié et saccagé, la parole du Père est accomplie : Demande-moi, et je te donnerai les gens pour héritage, et pour ta possession les bornes de la terre (Psaumes, 2 : 8). Où sont, je vous prie, ces gens trop religieux, mais plutôt trop profanes, qui font plus de synagogues que d'églises ? Comment seront détruites les cités du diable, et enfin, à savoir en la consommation des siècles, les idoles comment seront-ils abattus ? Si Notre Seigneur n'a point eu d'Eglise, ou s'il l'a eue en la seule Sardaigne, certes il est trop appauvri. Hé ! si Satan possède une fois l'Angleterre, la France, le Levant, les Indes, les nations barbares et tout le monde, comment auront été ainsi accueillis et contraints les trophées de la Croix en un coin de tout le monde ?
Et que dirait ce grand personnage de ceux qui non seulement nient qu'elle ait été générale et universelle, mais disent qu'elle n'était qu'en certaines personnes inconnues, sans vouloir déterminer un seul petit village où elle fut il y a quatre-vingts ans ? N'est-ce pas bien avilir les glorieux trophées de Notre Seigneur ? Le Père céleste, pour la grande humiliation et anéantissement que Notre Seigneur avait subi en l'arbre de la Croix (Philippiens, 2 : 8-9), avait rendu son nom si glorieux que tout genou se devait plier en sa révérence, mais ceux-ci ne prisent pas tant la Croix ni les actions du Crucifix, ôtant de ce compte toutes les générations de mille ans. Le Père lui avait donné en héritage beaucoup de gens, parce qu'il avait livré sa vie à la mort, et avait été mis au rang des méchants hommes (Isaïe, 53 : 12) et voleurs, mais ceux-ci lui amaigrissent bien son lot, et rognent si fort sa portion qu'à grand peine durant mille ans aura-t-il eu certains serviteurs secrets, mais plutôt n'en aura du tout point eu; car je m'adresse à vous, ô devanciers, qui portiez le nom de Chrétiens, et qui avez été en la vraie Eglise : ou vous aviez la vraie foi, ou vous ne l'aviez pas; si vous ne l'aviez pas, ô misérables, vous êtes damnés (Marc, 16 : 16), et si vous l'aviez, pourquoi la scelliez-vous aux autres ? Que n'en laissiez vous pas des mémoires ? Que ne vous opposiez-vous pas à l'impiété, à l'idolâtrie ? Ou si vous ne saviez pas que Dieu a recommandé à un chacun son prochain (Ecclésiaste, 17 : 12) ? Certes, on croit de cœur pour la justice, mais qui veut obtenir le salut il faut faire la confession de sa foi (Romains, 10 : 10; Luc, 12 : 8), et comment pouviez-vous dire : " J'ai cru, et parce que j'ai parlé (Psaumes, 115 : 1 : " J'aime, quand Dieu entend la voix de mon imploration. Quand il tend vers moi l'oreille : je l'invoque en mes jours.") ? O misérables encore, qui ayant un si beau talent l'avez caché en terre : s'il en est ainsi, vous êtes dans les ténèbres extérieures (Matthieu, 25 : 25-30). Mais si au contraire, ô Luther, ô Calvin, la vraie foi a toujours été publiée et continuellement prêchée par tous nos devanciers, vous êtes misérables vous-mêmes, qui en avez une toute contraire, et qui pour trouver quelque excuse à vos volontés et fantaisies, accusez tous les Pères ou d'impiété s'ils ont mal cru, ou de lâcheté s'ils se sont tus.
Article VI L'ÉGLISE NE PEUT PAS ERRER
Quand Absalon voulut une fois faire faction et division contre son bon père David, il s'assit près de l'avenue de la porte, et disait à tous ceux qui passaient : " N'y a-t-il pas une personne agréée par le Roi pour vous écouter, hé ! qui me constituera juge sur terre, afin que tous ceux qui auront quelque négociation viennent à moi et que je juge justement " (2 Rois, 15 : 2-6) ? ainsi sollicitait-il le courage des Israélites. O combien d'Absalon se sont trouvés en notre âge, qui, pour séduire et détruire les peuples de l'obéissance à l'Eglise et aux pasteurs, et solliciter les courageux chrétiens à la rébellion et révolte, ont crié par toutes les avenues d'Allemagne et de France : il n'y a personne constitué de Dieu pour écouter les doutes sur la foi et les résoudre; l'Eglise même, les magistrats ecclésiastiques, n'ont point de pouvoir pour déterminer ce qu'il faut tenir en la foi et ce que non; il faut chercher autres juges que les prélats, l'Eglise peut errer en ses décrets et règles.
Mais quelle plus dommageable et téméraire persuasion pouvaient-ils faire au christianisme que celle-là ? Si donc l'Eglise peut errer, ô Calvin, ô Luther, à qui aurais-je recours en mes difficultés ? A l'Ecriture, disent-ils : mais que ferais-je, pauvre homme ? car c'est sur l'Ecriture même où j'ai difficulté; je ne suis pas en doute s'il faut ajouter foi à l'Ecriture ou non, car qui ne sait que c'est la parole de vérité ? Ce qui me tient en peine, c'est l'intelligence de cette Ecriture, ce sont les conséquences de celle-ci, lesquelles étant sans nombre, diverses et contraires sur un même sujet, où qu'un chacun prend parti qui en l'une qui en l'autre, et que de toutes il n'y en a qu'une salutaire, ah ! qui me fera connaître la bonne d'entre tant de mauvaises ? Qui me fera voir la vraie vérité au travers de tant d'apparentes et masquées vanités ? Chacun se voudrait embarquer sur le navire du Saint-Esprit, il n'y en a qu'un, et celui-là seul prendra port, tout le reste court au naufrage; ah ! quel danger de se méprendre : l'égale ventance [sic - vanité ?] et assurance des patrons en déçoit la plupart, car tous se vantent d'en être les maîtres. Quiconque dit que Notre Maître ne nous a pas laissé des guides en un si dangereux et malaisé chemin, il dit qu'il veut nous perdre; quiconque dit qu'il nous a embarqués à la merci des vents et de la marée, sans nous donner un expert pilote qui sache bien entendre sur la boussole et la charte marine, il dit que ce Seigneur a commis une faute de prévoyance; quiconque dit que ce bon Père nous a envoyés en cette école ecclésiastique, sachant que l'erreur y était enseignée, il dit qu'il a voulu nourrir notre vice et notre ignorance. Qui entendit jamais deviser d'une académie ou chacun enseignait, personne ne fut auditeur ? Telle serait la république chrétienne si les particuliers... Car si l'Eglise même erre, qui n'errera ? Et si chacun y erre, ou peut errer, à qui m'adresserais-je pour être instruit ? A Calvin ? Mais pourquoi plutôt qu'à Luther, ou à Brence, ou au Pacimontain ? Nous ne saurions donc ou recourir en nos difficultés si l'Eglise errait.
Mais qui considèrera le témoignage que Dieu a donné pour l'Eglise, si authentique, il verra que dire, l'Eglise erre, n'est autre sinon dire, Dieu erre, ou se plaît et veut qu'on erre, qui serait un grand blasphème : car, n'est ce pas Notre Seigneur qui dit : Si ton frère a péché contre toi, dis-le à l'Eglise; que si quelqu'un n'entend pas l'Eglise, qu'il te soit comme païen et publicain (Matthieu, 18 : 17) ? Voyez-vous comment Notre Seigneur nous renvoie à l'Eglise en nos différends, et quels qu'ils soient ? Mais combien plus dans les injures et différends plus importants ? Certes, si je suis obligé, après l'ordre de la correction fraternelle, d'aller à l'Eglise pour faire amender un vicieux qui m'aurait offensé, combien plus serais-je obligé d'y déférer celui qui appelle toute l'Eglise Babylone, adultère, idolâtre, mensongère, parjure ? d'autant plus principalement qu'avec cette malveillance il pourra débaucher et infecter toute une province, le vice d'hérésie étant si contagieux que comme chancre il se va toujours traînant plus avant (2 Timothée, 2 : 17) pour un temps. Quand donc j'en verrai quelqu'un qui dira que tous nos pères, aïeuls et bisaïeuls ont idolâtré, corrompu l'Evangile et pratiqué toutes les méchancetés qui s'ensuivent de la chute de Religion, je m'adresserai à l'Eglise, le jugement de laquelle chacun doit subir. Que si elle peut errer, ce ne sera plus moi, ou l'homme, qui nourrira cette erreur dans le monde, ce sera Notre Dieu même qui l'autorisera et mettra en crédit, puisqu'il nous commande d'aller à ce tribunal pour y entendre et recevoir justice : ou il ne sait pas ce que s'y fait, ou il veut nous décevoir, ou c'est à bon escient que la vraie justice s'y administre, et les sentences sont irrévocables. L'Eglise a condamné Bérengère; quiconque veut en débattre plus avant je le tiens comme un païen et péager, afin d'obéir à mon Seigneur, qui ne me laisse pas en liberté en cet endroit, mais me commande : Tiens-le comme un païen et péager.
C'est le même que saint Paul enseigne, quand il appelle l'Eglise colonne et fermeté de vérité (1 Timothée, 3 : 15). N'est-ce pas dire que la vérité est soutenue fermement en l'Eglise ? Ailleurs la vérité n'est soutenue que par intervalles, elle en tombe souvent, mais en l'Eglise elle y est sans vicissitude, immuablement, sans chanceler; bref, stable et perpétuelle. Répondre que saint Paul veut dire que l'Ecriture a été remise en garde à l'Eglise, et rien de plus, c'est trop ravaler la similitude qu'il propose, car c'est bien autre chose, soutenir la vérité que garder l'Ecriture. Les Juifs gardent une partie des Ecritures, et beaucoup d'hérétiques encore, mais pour cela ils ne sont pas colonnes et fermetés de la vérité. L'écorce de la lettre n'est ni vérité ni fausseté, mais selon le sens qu'on lui baille elle est véritable ou fausse. La vérité donc consiste au sens, qui est comme la moelle, et partant, si l'Eglise était gardienne de la vérité, le sens de l'Ecriture lui aurait été remis en garde, il le faudrait chercher chez elle, et non en la cervelle de Luther, ou Calvin, ou de quelque particulier; dont elle ne pourrait errer, ayant toujours le sens des Ecritures. Et de fait, mettre en ce sacré dépôt la lettre sans le sens, ce serait y mettre la bourse sans l'argent, la coquille sans le noyau, la gaine sans l'épée, la boite sans l'onguent, les feuilles sans le fruit, l'ombre sans le corps. Mais dites-moi, si l'Eglise a en garde les Ecritures, pourquoi est-ce que Luther les prit et les porta hors de celle-ci ? Et pourquoi ne prenez-vous pas de ses mains aussi bien les Maccabées, l'Ecclésiastique et tout le reste comme l'Epître aux Hébreux ? Car elle proteste d'avoir aussi chèrement en garde les uns que les autres. Bref, les paroles de saint Paul ne peuvent souffrir ce sens qu'on veut leur bailler. Il parle de l'Eglise visible, car où adresserait-il son Timothée pour converser ? Il l'appelle maison de Dieu; elle est donc bien fondée, bien ordonnée, bien couverte contre tous les orages et tempêtes d'erreur; elle est colonne et fermeté de la vérité; la vérité donc est en elle, elle y loge, elle y demeure, qui la cherche ailleurs la perd. Elle est bien tellement assurée et ferme que toutes les portes d'enfer, c'est-à-dire toutes les forces ennemies, ne sauraient s'en rendre maîtresses (Matthieu, 16 : 18); et ne serait-ce pas place gagnée pour l'ennemi si l'erreur y entrait, dans mes choses qui sont pour l'honneur et le service du Maître ? Notre Seigneur est le chef de l'Eglise (Ephésiens, 1 : 22); n'a-t-on point honte d'oser dire que le corps d'un chef si saint soit adultère, profane, corrompu ? Et qu'on ne dise pas que c'est l'Eglise invisible, car il n'y en a point : d'Eglise visible (comme je l'ai montré ci-dessus) Notre Seigneur en est le chef ; écoutez saint Paul (Ephésiens, 1 : 22) : Et ipsum dedit caput supra omnem ecclesiam, non sur une église de deux que vous imaginez, mais sur toute l'Eglise. Là ou deux ou trois se trouveront assemblés au nom de Notre Seigneur, il se trouve au milieu d'eux (Mat 18, 20) : ah ! qui dira que l'assemblée de l'universelle Eglise de tous temps ait été abandonnée à la merci de l'erreur et de l'impiété ?
Je conclus, donc, que quand nous voyons que l'Eglise universelle a été et est en créance de quelque article, soit que nous le voyons exprès en l'Ecriture, soit qu'il en soit tiré par quelque déduction, ou bien par Tradition, nous ne devons aucunement contrôler ni disputer ou douter sur celui-ci, mais plutôt prêter obéissance et hommage à cette céleste Reine que Notre Seigneur commande, et régler Notre foi à ce niveau. Que si c'eut été impiété aux Apôtres de contester avec leur Maître, aussi le sera-ce à qui contestera contre l'Eglise; car si le Père a dit du Fils : Ipsum audite (Mat 17, 5), le fils a dit de l'Eglise, Si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus (Mat 18, 17).