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CHAPITRE II  :  Erreurs des ministres sur la Nature de l'Eglise

ARTICLE PREMIER  : Que l'Eglise chrétienne est visible

Au contraire, Messieurs, l'Eglise, qui contredisait et s'opposait à vos premiers ministres, et s'oppose encore à ceux de ce temps, est si bien marquée de tous côtés, que personne, tant aveuglé soit-il, ne peut prétendre cause d'ignorance du devoir que tous les bons Chrétiens lui ont, et que ce ne soit la vraie, unique, inséparable et très chère Epouse du Roi céleste, ce qui rend votre séparation d'autant plus inexcusable. Car, sortir de l'Eglise et contredire à ses décrets, c'est toujours se rendre païen et publicain (Matthieu, 18 : 17), quand ce serait à la persuasion d'un ange ou d'un séraphin (Galates, 1 : 8); mais, à la persuasion d'hommes pécheurs à la grande forme, comme les autres, personnes particulières, sans autorité, sans aveu, sans aucune qualité requise à des prêcheurs ou prophètes que la simple connaissance de quelques sciences, rompre tous les liens et la plus religieuse obligation d'obéissance qu'on eu en ce monde, qui est celle qu'on doit à l'Eglise comme Épouse de Notre Seigneur, c'est une faute  qui ne se peut couvrir que d'une grande repentance et pénitence, à laquelle je vous invite de la part du Dieu vivant.    

Les adversaires, voyant bien qu'à cette touche leur doctrine serait reconnue de bas or, ont tâché par tous moyens de nous divertir de cette preuve invincible que nous prenons les marques de la vraie Eglise, et partant ont voulu maintenir que l'Eglise est invisible et imperceptible, et par conséquent non remarquable. Je crois que c'est ici est l'extrême absurdité, et qu'au par-delà immédiatement se loge la frénésie et la rage.    

Mais ils vont par deux chemins à cette leur opinion de l'invisibilité de l'Eglise; car les uns disent qu'elle est invisible parce qu'elle consiste seulement dans les personnes élues et prédestinées, les autres attribuent cette invisibilité à la rareté et à la dissipation des croyants et fidèles : dont les premiers tiennent l'Eglise être en tout temps invisible, les autres disent que cette invisibilité a duré environ mille ans, ou plus ou moins, c'est-à-dire de saint Grégoire jusqu'à Luther, quand la papauté était paisible parmi le christianisme; car ils disent que durant ce temps-là il y avait plusieurs vrais chrétiens secrets, qui ne découvraient pas leurs intentions, et se contentaient de servir ainsi Dieu à couvert. Cette théologie est tant imaginaire et damnable, que les autres ont mieux aimé dire que durant ces mille ans l'Eglise n'était ni visible ni invisible, mais totalement abolie et étouffée par l'impiété et l'idolâtrie.

Permettez-moi, je vous prie, de vous dire librement la vérité. Tous ces discours ressentent le mal de chaud; ce sont des songes qu'on fait en veillant, qui ne valent pas celui que Nabuchodonosor fit en dormant; aussi lui sont-ils du tout contraires, si nous croyons à l'interprétation de Daniel (Daniel, 2 : 34) : car Nabuchodonosor vit une pierre taillée d'un mont sans œuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s'accrut tellement que devenue montagne elle remplit toute la terre; et Daniel l'entendit du royaume de Notre Seigneur qui demeurera éternellement (vers 44). S'il est comme une montagne, et si grande qu'elle remplit la terre, comme sera-t-elle invisible ou secrète ? Et s'il dure éternellement, comment aura-t-il manqué 1000 ans ? Et c'est bien du royaume de l'Eglise que s'entend ce passage : car 1. celui de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s'élèvera pas au temps des autres royaumes, comme porte l'interprétation de Daniel, mais après la consommation du siècle; joint que d'être taillé de la montagne sans œuvre manuelle appartient à la génération temporelle de Notre Seigneur, selon laquelle il a été conçu du Saint-Esprit dans le ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans œuvre humane, par la seule bénédiction du Saint-Esprit. Ou donc Daniel a mal deviné, ou les adversaires de l'Eglise catholique, quand ils disaient l'Eglise être invisible, cachée et abolie. Ayez patience, au nom de Dieu; nous irons par ordre et brièvement, montrant la vanité de ces opinions.

Mais il faut avant tout dire que c'est qu'Eglise. Eglise vient du mot grec qui veut dire, appeler; Eglise donc signifie une assemblée ou compagnie de gens appelés : Synagogue veut dire un troupeau, à proprement parler. L'assemblée des juifs s'appelait Synagogue, celle des chrétiens s'appelle Eglise : parce que les juifs étaient comme un troupeau de bétail, assemblé et regroupé par crainte, les chrétiens sont assemblés par la Parole de Dieu, appelés ensemble en union de charité par la prédication des Apôtres et leurs successeurs; dont saint Augustin a dit : " L'Eglise est nommée de la convocation, la Synagogue, du troupeau; parce qu'être convoqué appartient plus aux hommes, et entroupelé (regroupé) appartient plus au bétail "; or, c'est à bonne raison que l'on a appelé le peuple chrétien Eglise ou convocation, parce que le premier bénéfice que Dieu fait à l'homme pour le mettre en grâce, c'est de l'appeler à l'Eglise; c'est le premier effet de sa prédestination : ceux qu'il à prédestinés il les a appelés, disait saint Paul aux Romains (Romains, 8 : 30); et aux Colossiens : " Et la paix de Christ tressaute en vos cœurs, en laquelle vous êtes appelés en un corps ". Etre appelé en un corps, c'est être appelé en l'Eglise; et en ces similitudes que fait Notre Seigneur en saint Mathieu (20 : 1 et 16 ; 22, 2 et 14), de la vigne et du banquet avec l'Eglise, les ouvriers de la vigne et les conviés aux noces il les nomme appelés et convoqués : Plusieurs, dit-il, sont appelés, mais peu sont élus. Les Athéniens appelaient Eglise la convocation des citoyens, la convocation des étrangers s'appelait autrement; donc, le mot d'Eglise vient proprement aux chrétiens, qui ne sont plus adversaires et passants, mais concitoyens des Saints et domestiques de Dieu (Ephésiens, 2 : 19).    

Voilà d'où est pris le mot d'Eglise, et voici sa définition. L'Eglise est une sainte (Ephésiens, 5 : 27) université ou générale compagnie d'hommes, unis (Jean; 11 : 52; Ephésiens, 4 : 4 ; saint Cyprien : De unitate Ecclesiae) et recueillis en la profession d'une même foi chrétienne, en la participation de mêmes Sacrements et Sacrifice (1 Corinthiens, 10 : 16-21; Hébreux, 7 : 21), et en l'obéissance (Jean, 10 : 16 et 21, 17) d'un même Vicaire et lieutenant général en terre de Notre seigneur Jésus-Christ et du successeur de saint Pierre, sous la charge des évêques légitimes (Ephésiens, 4 : 11-12). J'ai dit avant tout que c'était une sainte compagnie ou assemblée, parce que sainteté intérieure.    

J'entends parler de l'Eglise militante de laquelle l'Ecriture nous a laissé témoignage, non de celle que proposent les hommes. Or, en toute l'Ecriture, il ne se trouvera jamais que l'Eglise soit prise pour une assemblée invisible. Voici nos raisons, simplement étalées :    

1. Notre Seigneur et Maître nous renvoie à l'Eglise en nos difficultés et dissensions (Matthieu, 18 : 16-17); saint Paul enseigne son Timothée comme il faut converser en elle (1 Timothée, 3 : 15); il fit appeler les Anciens de l'Eglise Milétaine (Actes, 20 : 17), il leur montre qu'ils sont constitués par le Saint-Esprit pour régir l'Eglise (vers 28), il est envoyé par l'Eglise avec saint Barnabé, il fut reçu par l'Eglise (Actes, 15 : 3-4 et 22), il confirmait les Eglises (verset 41), il constitue des prêtres par les églises, il assemble l'Eglise (Actes, 14 : 22 et 26), il salue l'Eglise en Césarée (Actes; 18 : 22), il a persécuté l'Eglise (Galates, 1 : 13). Comment peut s'entendre tout ceci d'une Eglise invisible ? Où la chercherait-on pour lui faire les plaintes, pour converser avec celle, pour la régir ? Quand elle envoyait saint Paul, elle le recevait, quand il la confirmait, il y constituait des prêtres, il l'assemblait, il la saluait, il la persécutait, était-ce par figure ou par la foi seulement et par l'esprit ? Je ne crois pas que chacun ne voie clairement que c'était des effets visibles et perceptibles de part et d'autre. Et quand il lui écrivait (Galates, 1 : 2 et 2 Corinthiens, 1 : 2), s'adressait-il à quelque chimère invisible ?

2. Que dira-t-on des prophéties, qui nous représentent l'Eglise non seulement visible mais toute claire, illustre, manifeste, magnifique ? Ils la dépeignent comme une reine parée de l'or d'Ophir, son vêtement fait de tissus d'or, avec une belle variété d'enrichissements (Psaumes, 45 : 10 et 14), comme une montagne, comme un soleil, comme une pleine lune, comme l'arc-en-ciel, témoin fidèle (Isaïe, 2 : 2 et Michée, 4 : 1-2) et certain de la faveur de Dieu vers les hommes qui sont tous la postérité de Noé, qui est-ce que le Psaume porte en notre version : Et thronus ejus sicut in sol in conspectu meo, et sicut luna perfecta in aeternum, et testis in caelo fidelis (Psaumes, 88 : 37; Cantiques, 6 : 9; Genèse; 9 : 13).

3. L'Ecriture atteste partout que l'Eglise peut être vue et connue, mais plutôt qu'elle est connue. Salomon, dans les Cantiques, parlant de l'Eglise, ne dit-il pas : Les filles l'ont vue et l'ont prêchée pour très heureuse ? Et puis, introduisant ses filles pleines d'admiration, il leur fait dire : Qui est celle-ci qui comparaît et se produit comme une aurore en son lever, belle comme la lune, élue comme le soleil, terrible comme un escadron de gendarmerie bien ordonné ? (Cantiques, 8 et 9) N'est-ce pas la déclarer visible ? Et quand il fait qu'on l'appelle ainsi : Reviens, reviens Sulamite, reviens, reviens, afin qu'on te voie, (Cantiques, 7 : 1) et qu'elle réponde : Que verrez-vous en cette Sulamite sinon les troupes des armées ? (7 : 1), n'est-ce pas encore la déclarer visible ? Qu'on regarde ces admirables cantiques comme des représentations pastorales des amours du céleste Epoux avec l'Eglise, on verra qu'elle est partout très visible et remarquable. Isaïe parle ainsi d'elle : Ce vous sera une voie droite, si que les simples ne s'égareront point par elle (Isaïe, 35 : 8); ne faut-il pas bien qu'elle soit découverte et aisée à remarquer, puisque les plus grossiers mêmes [les simples] s'y sauront conduire sans se faillir ?

4. Les pasteurs et docteurs de l'Eglise sont visibles, donc l'Eglise est visible : car, je vous prie, les pasteurs de l'Eglise ne sont-ils pas une partie de l'Eglise, et ne faut-il pas que les pasteurs et les brebis se connaissent les uns et les autres ? Ne faut-il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suivent (Jean 10, 4) ? Ne faut-il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis égarée, qu'il reconnaisse son parc et son bercail ? Ce serait de vrai une belle sorte de pasteurs qui ne sut reconnaître son troupeau ni le voir. Je ne sais s'il me faudra prouver que les pasteurs de l'Eglise sont visibles : on nie bien des choses aussi claires. Saint Pierre était pasteur, ce que je crois, puisque Notre Seigneur lui disait : Pais mes brebis (Jean 10 : 17); ainsi étaient les Apôtres, et néanmoins on les a vus (Marc, 1 : 16). Je crois que ceux  auxquels saint Paul disait : Prenez garde à vous et à tout le troupeau, auquel le Saint-Esprit vous a constitués pour régir l'Eglise de Dieu (Actes, 20 : 28), je crois , dis-je , qu'il les voyait; et quand ils se jetaient comme bons enfants au col de ce bon père, le tenant embrassé et baignant sa face de leurs larmes (verset 37), je crois qu'il les touchait, sentait et voyait : et ce qui me le fait plus croire, c'est qu'ils regrettaient principalement son départ parce qu'il avait dit qu'ils ne verraient plus sa face (verset 38); ils voyaient donc saint Paul, et saint Paul les voyait. Enfin, Zwingli, Œcolampade, Luther, Calvin, Bèze, Muscule, sont visibles, et quant aux derniers il y en à plusieurs qui les ont vus, et néanmoins ils sont appelés pasteurs par leurs sectateurs. On voit donc les pasteurs, et par conséquent les brebis.

5. C'est le propre de l'Eglise de faire la vraie prédication de la Parole de Dieu, la vraie administration des Sacrements ; et tout cela n'est-il pas visible ? Comment donc veut-on que le sujet soit invisible ?

6. Ne sait-on pas que les douze Patriarches, enfants du bon Jacob, furent la source vive de l'Eglise d'Israël; et quand leur père les eut assemblés devant soi pour les bénir (Genèse, 40 : 1 et 2), on les voyait, on s'entrevoyait entre eux. Que m'amuse-je faire en cela ? Toute l'histoire sacrée fait foi que l'ancienne Synagogue était visible, et pourquoi pas l'Eglise catholique ?

7. Comme les patriarches, pères de la Synagogue israélite, et desquels Notre Seigneur est né selon la chair (Rom 9, 5), faisaient l'Eglise (judaïque) visible, ainsi les Apôtres avec leurs disciples, enfants de la Synagogue selon la chair, et, selon l'esprit de Notre Seigneur, donnèrent le commencement à l'Eglise catholique visiblement selon le Psalmiste : Tes enfants prendront la place de tes pères; tu les constitueras princes sur toute la terre (Psaumes, 44 : 17) : par douze Patriarches te sont nés douze Apôtres, dit Arnobe. Ces Apôtres assemblés en Jérusalem, avec la petite troupe des disciples et la très glorieuse mère du Sauveur, faisaient la vraie Eglise; et comment ? visible, sans doute, mais tellement visible que le Saint-Esprit vint arroser visiblement ces saintes plantes et pépinières du christianisme (Actes 2 : 3).

8. Les anciens juifs comment se reconnaissaient-ils en tant que peuple de Dieu ? - Par la circoncision, signe visible; nous autres, par le Baptême, signe visible. Les anciens par qui étaient-ils gouvernés ? - Par les prêtres aaroniques, gens visibles; nous autres, par les évêques, personnes visibles. Les anciens par qui étaient-ils prêchés ? - Par les prophètes et les docteurs, visiblement; nous autres, par nos pasteurs et prédicateurs, visiblement encore. Les anciens quelle manducation religieuse et sacrée avaient ils ? - De l'agneau pascal, de la manne, tout est visible; nous autres, du très saint Sacrement de l'Eucharistie, signe visible quoique de chose invisible. La Synagogue par qui était-elle persécutée ? - Par les Egyptiens, babyloniens, Madianites, Philistins, tous peuples visibles; l'Eglise, par les païens, Turcs, Maures, Sarrasins, hérétiques, tout est visible. Bonté de Dieu, et nous demanderons encore si l'Eglise est visible ? Mais qu'est ce que l'Eglise ? - Une assemblée d'hommes qui ont la chair et les os ; et nous dirons encore que ce n'est qu'un esprit ou fantôme, qui semble être visible et ne l'est que par illusion ? Non, non, qu'est-ce qui vous trouble en ceci, et d'ou vous peuvent venir ces pensées ? Voyez ses mains, regardes ses ministres, officiers et gouverneurs; voyez ses pieds, regardez ses prédicateurs comme ils la portent au levant, couchant, midi et septentrion : tous sont de chair et d'os. Touchez-la, venez comme d'humbles enfants vous jeter dans le giron de cette douce mère ; voyez-la, considérez-la bien tout en son corps comme elle est toute belle, et vous verrez qu'elle est visible, car une chose spirituelle et invisible n'à ni chair ni os comme voyez qu'elle a (Luc, 24 : 39 ).

Voilà nos raisons, qui sont bonnes et à toute épreuve; mais ils ont quelques contre raisons, qu'ils tirent, ce leur semble, de l'Ecriture, bien aisées à rabattre à qui considérera ce qui s'ensuit :    

Premièrement, Notre Seigneur avait en son humanité deux parties, le corps et l'âme : ainsi l'Eglise son Épouse a deux parties ; l'une intérieure, invisible, qui est comme son âme, la foi, l'espérance, la charité, la grâce; l'autre extérieure et visible comme le corps, la confession de foi, les louanges et cantiques, la prédication, les Sacrements, le Sacrifice : mais tout ce qui se fait en l'Eglise à son intérieur et son extérieur; la prière intérieure et extérieure (1 Corinthiens, 14 : 15), la foi remplit le cœur d'assurance et la bouche de confession (Romains, 10 : 9), la prédication se fait extérieurement par les hommes, mais la secrète lumière du Père céleste y est requise, car il faut toujours l'écouter et apprendre de lui avant que de venir au Fils (Jean, 6 : 44-45); et quant aux Sacrements, le signe y est extérieur mais la grâce est intérieure, et qui ne le sait ? Voilà donc l'intérieur de l'Eglise et l'extérieur . son plus beau est dedans, le dehors n'est pas si excellent : comme disait l'Epoux dans les Cantiques : Tes yeux sont des yeux de colombe, sans ce qui est caché au dedans (Cantiques, 4 : 11); le miel et le lait sont sous ta langue, c'est-à-dire en ton cœur, voilà le dedans, et l'odeur de tes vêtements comme l'odeur de l'encens, voila le service extérieur; et le Psalmiste : Toute la gloire de ceste fille royale est au-dedans, c'est l'intérieur, revêtue de belles variétés en franges d'or, voilà l'extérieur (Psaumes, 44 : 14-15).

Deuxièmement, il faut considérer que tant l'intérieur que l'extérieur de l'Eglise peut être dit spirituel, mais diversement; car l'intérieur est spirituel purement et de sa propre nature, l'extérieur de sa propre nature est corporel, mais parce qu'il tend et vise à l'intérieur spirituel on l'appelle spirituel, comme fait saint Paul, les hommes qui rendaient le corps sujet à l'esprit, quoiqu'ils fussent corporels ; et quoiqu'une personne soit particulière de sa nature, si est-ce que servant au public, comme les juges, on l'appelle publique.

Maintenant, si on dit que la loi évangélique a été donnée dans les cœurs intérieurement, non sur les tables de pierre extérieurement, comme dit Jérémie (31 : 33), on doit répondre qu'en l'intérieur de l'Eglise et dans son cœur est tout le principal de sa gloire, qui ne laisse pas de rayonner jusqu'à l'extérieur qui la fait voir et reconnaître; ainsi quand il est dit en l'Evangile, que l'heure est venue quand les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité (Jean, 4 : 23), nous sommes enseignés que l'intérieur est le principal, et que l'extérieur est vain s'il ne tend et ne se va rendre dans l'intérieur pour s'y spiritualiser.

De même, quand saint Pierre appelle l'Eglise maison spirituelle (1 Pierre, 2 : 5), c'est parce que tout ce qui part de l'Eglise tend à la vie spirituelle, et que sa plus grande gloire est intérieure, ou bien parce que ce n'est pas une maison faite de chaux et de sable, mais une maison mystique faite de pierres vivantes, où la charité sert de ciment.

La sainte Parole porte que le royaume de Dieu ne vient pas avec observation (Luc, 17 : 30) : le royaume de Dieu c'est l'Eglise; donc l'Eglise n'est pas visible. Réponse : Le royaume de Dieu, en ce lieu-là, c'est Notre Seigneur avec sa grâce, ou si vous voulez, la compagnie de Notre Seigneur pendant qu'il fut au monde, dont il s'ensuit : Car voici le royaume de Dieu est au-dedans de vous (vers 21) ; et ce royaume ici ne comparut pas avec l'apparat et le faste d'une magnificence mondaine, comme les Juifs croyaient ; et puis, comme on à dit, le plus beau joyau de cette fille royale est cachée au-dedans, et ne peut se voir.

Quant à ce que saint Paul a dit aux Hébreux (12 : 18-22), que nous ne sommes pas venus vers une montagne maniable, comme celle de Sina, mais vers une Jérusalem céleste, il ne fait pas à propos pour faire invisible l'Eglise; car saint Paul montre en cet endroit que l'Eglise est plus magnifique et enrichie que la Synagogue, et qu'elle n'est pas une montagne naturelle comme celle de Sina, mais mystique, dont il ne s'ensuit aucune invisibilité : outre ce qu'on peut dire avec raison qu'il parle vraiment de la Jérusalem céleste, c'est-à-dire de l'Eglise triomphante, dont il y ajoute, la fréquence des Anges, comme s'il voulait dire qu'en la vieille loi Dieu fut vu en la montagne en une façon épouvantable, et que la nouvelle nous conduit à le voir en sa gloire là-haut en Paradis.

Enfin, voici l'argument que chacun crie être le plus fort : je crois la sainte Eglise catholique; si je la crois, je ne la vois pas; donc elle est invisible. N'y a-t-il pas là rien de plus faible au monde que ce fantôme de raison ? Les Apôtres n'ont-ils pas cru Notre Seigneur être ressuscité, et ne l'ont ils pas vu ? Parce que tu m'as vu, dit-il lui-même à saint Thomas, tu as cru (Jean, 20 : 29); et pour le rendre croyant il lui dit : Vois mes mains, et apporte ta main et lmets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule mais fidèle (verset 47) : voyez comme la vue n'empêche pas la foi, mais la produit. Or, autre chose vit saint Thomas et autre chose il crut; il vit le corps, il crut l'Esprit et la Divinité, car sa vue ne lui avait pas appris  de dire : Mon Seigneur et mon Dieu (verset 28), mais la foi. Ainsi croit-on un baptême pour la rémission des péchés; on voit le baptême, mais non la rémission des péchés. Aussi voit-on l'Eglise, mais non sa sainteté intérieure, on voit ses yeux de colombe, mais on croit ce qui est caché au-dedans, on voit sa robe richement ornée avec ses houppes d'or, mais la plus claire splendeur de sa gloire est au-dedans, que nous croyons; il y a en cette royale Épouse de quoi repaître l'œil intérieur et extérieur, la foi et le sens, et c'est tout pour la plus grande gloire de son Epoux.  

 

ARTICLE II : QU'EN L'EGLISE IL Y A DES BONS ET DES MAUVAIS, DES PREDESTINES ET DES REPROUVES    

Pour rendre l'invisibilité de l'Eglise probable chacun produit sa raison, mais la plus grossière que je vois, c'est de s'en rapporter à l'éternelle prédestination. De vrai, cette ruse n'est pas petite de détourner les yeux spirituels des gens de l'Eglise militante à la prédestination éternelle, afin qu'éblouis à l'éclair de ce mystère inscrutable nous ne voyions pas ce qui est devant nous. Ils disent donc qu'il y a deux Eglises, une visible et imparfaite, l'autre invisible et parfaite, et que la visible peut errer et s'évanouir au vent des erreurs et idolâtries, l'invisible, non. Que si l'on demande quelle est l'Eglise visible, ils répondent que c'est l'assemblée des personnes qui font profession d'une même foi et Sacrements, qui contient les bons et les mauvais, et n'est Eglise que de nom; et l'Eglise invisible est celle qui contient les élus seulement, qui, n'étant pas en la connaissance des hommes, sont seulement reconnus et vus de Dieu.  

Mais nous montrerons clairement que la vraie Eglise contient les bons et les mauvais, les reprouvés et les élus, et voici ::

1.- N'était-ce pas la vraie Eglise, celle que saint Paul appelait " colonne et fermeté de la vérité, et maison du Dieu vivant " (1 Timothée, 3 : 15) ? Sans doute, car être colonne de vérité ne peut pas appartenir à une Eglise errante et vagabonde. Or l'Apôtre atteste de cette vraie Eglise, maison de Dieu, qu'il y a en celle-ci des vaisseaux d'honneur, et de contumélie [méprisable] (2 Timothée, 2 : 20), c'est-à-dire des bons et des mauvais.  

2. - N'est-ce pas la vraie Eglise contre laquelle les portes d'enfer ne prévaudront point ? Et néanmoins en celle-ci il y a des hommes qui ont besoin d'être déliés de leurs péchés, et d'autres auxquels il les faut retenir, comme Notre Seigneur fait voir en la promesse et puissance qu'il en donne à saint Pierre (Matthieu, 16 : 18-19). Ceux auxquels on les retient ne sont-ils pas mauvais et réprouvés ? Ainsi cela est propre aux reprouvés que leurs péchés soient retenus, et l'ordinaire des élus qu'ils leur soient pardonnés : or, que ceux auxquels saint Pierre avait pouvoir de les retenir ou pardonner fussent en l'Eglise, il appert; de ceux qui ne sont en l'Eglise, qu'il n'appartient qu'à Dieu seul d'en juger (1 Corinthiens, 5 : 13); ceux, donc, desquels saint Pierre devait juger n'étaient pas hors de l'Eglise mais dedans, quoiqu'il dut y avoir des réprouvés.  

3. - Et Notre Seigneur nous enseigne-t-il pas qu'étant offensé par quelqu'un de nos frères, après l'avoir repris et corrigé par deux fois en diverses façons, nous le déférions à l'Eglise ? " Dis-le à l'Eglise; que s'il n'entend l'Eglise, qu'il te soit comme païen et publicain " (Matthieu, 18 : 17). On  ne peut ici s'échapper, l'argument est inévitable; il s'agit d'un frère qui n'est ni païen ni publicain, mais sous la discipline et correction de l'Eglise, et par conséquent membre de l'Eglise, et néanmoins il n'est pas inconvenant qu'il soit réprouvé, acariâtre et obstiné. Les bons, donc, ne sont pas seulement de la vraie Eglise, mais les mauvais encore jusqu'à tant qu'ils en soient chassés : sinon qu'on veuille dire que l'Eglise à laquelle Notre Seigneur nous renvoie soit l'Eglise errante, peccante et antichrétienne; ce serait trop blasphémer à la découverte.  

4. - Quand Notre Seigneur dit : " Le serviteur ne demeure pas en la maison à jamais, le fils demeure toujours " (Jean, 8 : 35), n'est-ce pas autant que s'il disait qu'en la maison de l'Eglise y est l'élu et le reprouvé pour un temps ? car, qui peut être ce serviteur qui ne demeure pas toujours en la maison, que celui-là qui sera jeté une fois dans les ténèbres extérieures ? Et, de fait, il montre bien que c'est aussi ce qu'il entend quand il dit immédiatement devant : " Qui fait le péché est serviteur du péché " (verset 34). Or celui-ci, encore qu'il ne demeure pas à jamais en la maison, il y demeure néanmoins pour un temps, pendant qu'il y est retenu pour quelque service.

5 - Saint Paul écrit à l'Eglise de Dieu qui était à Corinthe (voir 1 Corinthiens, 1 : 2), et néanmoins il veut qu'on en chasse un certain incestueux ( 5 : 2) : si on l'en chasse il y était, et s'il y était et que l'Eglise fut la compagnie des élus, comment l'en eut-on pu le chasser ? Les élus ne peuvent pas être réprouvés.  

6.- Mais pourquoi me niera-t-on que les reprouvés et mauvais soient de la vraie Eglise, puisque mêmes ils y peuvent être pasteurs et évêques ? La chose est certaine. Judas n'est-il pas réprouvé ? Et toutefois il fut Apôtre et Evêque, selon le Psalmiste (Psaumes, 108 : 8) et saint Pierre, qui dit qu'il eut part au ministère de l'apostolat (Actes, 1 : 17), et tout l'Evangile, qui le tient toujours comme membre du Collège des Apôtres. Nicolas Antiochien ne fut-il pas diacre comme saint Etienne (Actes, 6 : 5) ? et néanmoins plusieurs anciens Pères ne font point de difficulté pour tout cela de le tenir pour hérésiarque, comme entre autres Epiphane, Philastre, Jérôme; et, de fait, les Nicolaïtes prirent occasion de lui de mettre en avant leurs abominations, desquels saint Jean en l'Apocalypse (2 : 6) fait mention comme de vrais hérétiques. Saint Paul atteste aux prêtres éphésiens (Actes, 20 : 28) que le Saint-Esprit les avait faits évêques pour régir l'Eglise de Dieu, mais il assure aussi que quelques-uns d'entre eux s'élèveraient disant des méchancetés, pour débaucher et s'attirer des disciples (verset 30) : il parle à tous quand il dit que le Saint-Esprit les a fait évêques, et parle de ceux-là mêmes quand il dit que d'entre eux s'élèveraient des schismatiques.

Mais quand aurais-je fait, si je voulais entasser ici les noms de tant d'évêques et prélats lesquels, après avoir été légitimement colloqués en cet office et dignité, sont déchus de leur première grâce, et sont morts hérétiques ? Qui vit jamais rien de si saint pour un simple prêtre qu'Origène, de si docte, si chaste, si charitable ? Il ni à celui qui puisse lire ce qu'en écrit Vincent de Lérins, l'un des plus polis et doctes écrivains ecclésiastiques, et faire considération de sa damnable vieillesse après une si admirable et sainte vie, qui ne soit tout ému de compassion, de voir ce grand et valeureux nocher, après tant de tempêtes passées, après tant de si riches trafiques qu'il avait faits avec les Hébreux, Arabes, Chaldéens, Grecs et Latins, revenait plein d'honneur et de richesses spirituelles, faire naufrage et se perdre au port de sa propre sépulture. Qui oserait dire qu'il n'eut pas été de la vraie Eglise, lui qui avait toujours combattu pour l'Eglise, et que toute l'Eglise honorait et tenait pour l'un de ses plus grands docteurs ? Et quoi ? le voilà à la fin hérétique, excommunié, hors de l'Arche, périr au déluge de sa  propre opinion. Et tout ceci est semblable à la sainte parole de Notre Seigneur (Matthieu, 23 : 2-3), qui tient les scribes et pharisiens pour des vrais pasteurs de la vraie Eglise de ce temps-là, puisqu'il commande qu'on leur obéisse, et néanmoins il ne les tient pas pour élus mais plutôt pour réprouvés (versets 12-13). Or quelle absurdité serait-ce, je vous prie, si les élus étaient de l'Eglise ? Il s'ensuivrait ce qu'ont dit les Donatistes, que nous ne pourrions pas connaître nos prélats, et par conséquent nous ne pourrions pas leur rendre l'obéissance : car, comment pourrions-nous connaître si ceux qui se disent prélats et pasteurs sont de l'Eglise, puisque nous ne pouvons pas connaître qui, d'entre les vivants, est prédestiné et qui ne l'est pas, comme il se dira ailleurs ? Et s'ils ne sont pas de l'Eglise, comment peuvent-ils y tenir le lieu de chefs ? Ce serait bien un monstre des plus étranges qui se peut voir que le chef de l'Eglise, comment y peuvent ils tenir lieu de chefs ? Ce serait bien un monstre des plus étranges qui se peut voir que le chef de l'Eglise ne fut de l'Eglise. Non seulement, donc, un reprouvé peut être de l'Eglise, mais encore pasteur en l'Eglise; l'Eglise donc ne peut être appelée invisible pour être composée de seuls prédestinés.    

Je conclus tout ce discours par les comparaisons évangéliques qui montrent clairement toute cette vérité. Saint Jean fait semblable l'Eglise à l'aire d'une grange, en laquelle est non seulement le grain pour le grenier, mais encore la paille pour être brûlée au feu éternel (Matthieu, 3 : 12); ne sont-ce pas le élus et les réprouvés ? Notre Seigneur la compare au filet jeté dans la mer, dans lequel on tire et les bons et les mauvais poissons (Matthieu, 13 : 47); à la compagnie de dix vierges dont il y en à cinq folles et cinq sages (Matthieu, 25 : 1-2); à trois valets dont l'un est fainéant et partant jeté dans les ténèbres extérieures (versets 26-30); et enfin à un festin de noces (Matthieu, 22 : 2) dans lequel sont entrés et bons et mauvais, et les mauvais n'ayant pas la robe requise sont jetés dans les ténèbres extérieures. Ne sont-ce pas tout autant de suffisantes preuves que non seulement les élus mais encore les reprouvés sont en l'Eglise ? Il faut donc fermer la porte de notre propre jugement à toutes sortes d'opinions, et à ce propos encore, avec cette proposition jamais assez considérée : Il y en à beaucoup d'appelés, mais peu de choisis (verset 14). Tous ceux qui sont en l'Eglise sont appelés, mais tous ceux qui y sont ne sont pas élus; aussi Eglise ne veut pas dire élection mais convocation.    

Mais où trouveront-ils en l'Ecriture un lieu qui leur puisse servir de quelque excuse pour tant d'absurdités, et contre des preuves si claires que celles que nous avons faites ? Il ne manque pas de contre raisons en ce point, jamais l'opiniâtreté n'en laisse avoir faute à ses serviteurs.

Apporteront-ils donc ce qui est écrit aux Cantiques (4 : 7, 12 et 15), de l'Épouse, que c'est un jardin fermé, une fontaine ou source cachetée, un puits d'eau vivante, qu'elle est toute belle et sans aucune tache, ou, comme dit l'Apôtre, glorieuse, sans ride, sainte, immaculée (Ephésiens, 5 : 27) ? Je les prie de bon cœur qu'ils regardent ce qu'ils veulent conclure de ceci, car s'ils veulent conclure qu'il ne doive avoir en l'Eglise que des saints immaculés, sans ride, glorieux, je leur ferai voir avec ces mêmes passages qu'il n'y a en l'Eglise ni élu ni reprouvé : car, n'est ce pas " la voix humble mais véritable ", comme dit le grand concile de Trente, " de tous les justes " et élus, " remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs " ? Je tiens saint Jacques pour élu, et néanmoins il confesse : Nous offensons tous en plusieurs choses (Jacques, 3 : 2); saint Jean nous ferme la bouche et à tous les élus, afin que personne ne se vante d'être sans péché, mais plutôt au contraire veut que chacun sache et confesse qu'il pèche (1 Ep. Jean, 1 : 8); je crois que David en son ravissement et extase savait que c'était des élus, et néanmoins il tenait tout homme pour mensonger (Ps 115, 2). Si donc ces saintes qualités données à l'Epouse Eglise se doivent prendre risque à risque , qu'il n'y ait aucune tache ni ride, il faudra sortir hors de ce monde pour trouver la vérification de ses beaux titres, les élus de ce monde n'en sont pas capables. Mettons donc la vérité au net.    

1. - .L'Eglise encore est toute belle, sainte, glorieuse, et quant aux mœurs et quant à la doctrine. Les mœurs dépendent de la volonté, la doctrine, de l'entendement : en l'entendement de l'Eglise jamais n'y entra fausseté, ni en la volonté aucune méchanceté : elle peut par la grâce de son Epoux dire comme lui : Qui d'entre vous, o conjurés ennemis, me reprendra de péché (Jean, 8 : 46) ? Et ne s'ensuit-il pourtant pas qu'en l'Eglise il n'y ait des méchants; ressouvenez-vous de ce que j'ai dit ailleurs (cf art 1). L'Épouse a des cheveux et des ongles qui ne sont pas vivants, quoi qu'elle soit vivante; le sénat est souverain, mais non pas chaque sénateur; l'armée est victorieuse, mais non pas chaque soldat; elle emporte la bataille, mais plusieurs soldats y demeurent morts. Ainsi l'Eglise militante est toujours glorieuse et victorieuse sur les portes et puissances infernales, quoique plusieurs des siens, ou s'égarant et mettant en désordre, comme vous avez fait, demeurent en pièces et perdus, ou par des autres accidents y sont blessés et meurent. Prenez donc l'une après l'autre les belles louanges qui sont semées dans les Ecritures, et faites-en une couronne, car elles lui sont bien dues, comme plusieurs malédictions à ceux qui étant en un si beau chemin s'y perdent; c'est une armée bien ordonnée (Cantiques, 6 : 9), quoique plusieurs s'y relâchent.  

2. - Mais qui ne sait combien de fois on attribue à tout un corps  ce qui n'appartient qu'à l'une des parties ? L'Épouse appelle son Epoux blanc et vermeil, mais incontinent elle dit qu'il a les cheveux noirs (Cantiques, 5 : 10-11); saint Mathieu dit que les larrons qui étaient crucifiés avec Notre Seigneur blasphémèrent (Matthieu, 27 : 44), et ce ne fut que l'un d'eux au rapport de saint Luc (Luc, 23 : 39); on dit que le lis est blanc, mais il y a du jaune et du vert. Or, à qui parle en terme d'amour use volontiers de cette façon de langage, et les Cantiques sont des représentations chastes et amoureuses. Toutes ces qualités donc sont justement attribuées à l'Eglise, à cause de tant de saintes âmes qui y sont et qui observent très étroitement les saints commandements de Dieu, et sont parfaites de la perfection qu'on peut avoir en ce pèlerinage, non de celle que nous espérons en la bienheureuse Patrie.  

3. - Et quant au surplus, quoiqu'il n'y eut point d'autre raison d'ainsi qualifier l'Eglise que pour l'espérance qu'elle a de monter là-haut toute pure, toute belle, en contemplation du seul port auquel elle aspire et va en courant, cela suffirait pour la faire appeler glorieuse et parfaite, principalement ayant tant de belles arrhes de cette sainte espérance.

Il ne serait jamais fait qui voudrait s'amuser sur tous les pieds de mouches qu'on va considérant ici, et pour lesquels on baille mille fausses alarmes au pauvre peuple. On produit le passage de saint Jean : " Je connais mes brebis, et personne ne me les enlèvera de mes mains " (Jean, 10 : 28); et que ces brebis-là sont les prédestinés qui sont seuls du bercail du Seigneur, on produit ce que saint Paul dit à Timothée : " Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui " (2 Timothée, 2 : 19), et ce que saint Jean a dit des apostats : " Ils sont sortis d'entre nous, mais ils n'étaient pas d'entre nous " (1 Jean 2, 19).

Mais quelle difficulté trouve-t-on en tout cela ? Nous confessons que les brebis prédestinées entendent la voix de leur pasteur et ont toutes les propriétés qui sont décrites en saint Jean (ch. 10), ou tôt ou tard, mais nous confessons aussi qu'en l'Eglise, qui est la bergerie de Notre Seigneur, il n'y a pas seulement des brebis mais encore des boucs; autrement pourquoi serait-il dit qu'à la fin du monde, au jugement, les brebis seront séparées des boucs, sinon parce que jusqu'au jugement, pendant que l'Eglise est en ce monde, elle a en soi des boucs avec les brebis ? Certes, si jamais ils n'avaient été ensemble, jamais on ne les séparerait : et puis enfin de compte, si les prédestinés sont appelés brebis aussi le sont bien les réprouvés, témoin David : " Votre fureur est courroucée sur les brebis de votre parc " (Psaumes, 73 : 1) ; " J'ai erré comme la brebis qui est perdue " (Psaumes, 118) ; et ailleurs quand il dit : " O vous qui dirigez Israël, écoutez, vous qui conduisez Joseph comme une ouaille " (Psaumes, 90 : 1) : quand il dit Joseph, il entend les Josephois et le peuple israélite, parce qu'à Joseph fut donné la primogéniture (1 Chroniques, 5 : 1), et l'aîné baille nom à la race. Isaïe , 53, 6, compare tous les hommes, tant reprouvés que élus, à des brebis : Omnes nos quasi oves erravimus, et vers 7 il compare Notre Seigneur : Quasi ovis ad occisionem ductus est ; et tout au long du chapitre 34 d'Ezéchiel, où sans doute tout le peuple d'Israël est appelé brebis, sur lequel David devait régner. Mais qui ne sait qu'au peuple d'Israël tout n'était pas prédestiné ou élu ? Et néanmoins ils sont appelés brebis, et sont tous ensemble sous un même pasteur. Nous confessons donc qu'il y a des brebis sauvées et prédestinées, desquelles il est parlé en saint Jean, il y en a d'autres damnées, desquelles il est parlé ailleurs, et toutes sont dans un même parc.    

Semblablement, qui nie que Notre Seigneur connaisse ceux qui sont à lui ? Il sut sans doute ce que Judas ne laissa pas d'être de ses Apôtres; il sut ce que devaient devenir les disciples qui s'en retournèrent en arrière (Jean, 6 : 67) pour la doctrine de la réalité de manducation de sa chair, et néanmoins il les reçut pour ses disciples. C'est bien autre chose être à Dieu selon l'éternelle prescience, pour l'Eglise triomphante, et d'être à Dieu selon la présente communion des saints, pour l'Eglise militante. Les premiers sont seulement connus de Dieu et des hommes. " Selon l'éternelle prescience ", dit saint Augustin, " o combien de loups sont dedans, combien de brebis dehors."; Notre Seigneur donc connaît ceux qui sont à lui pour l'Eglise triomphante, mais outre ceux-là il y en a plusieurs autres en l'Eglise militante desquels la fin sera en perdition, comme le même Apôtre montre quand il dit qu'en une grande maison (2 Timothée, 2 : 20) il y a toutes sortes de vases, et même quelques-uns pour l'honneur, d'autres pour l'ignominie. De même ce que saint Jean dit : " Ils sont sortis d'entre nous, mais ils n'étaient pas d'entre nous ". Je dirai, comme dit saint Augustin : ils étaient des nôtres ou d'entre nous numero, et ne l'étaient pas merito, c'est-à-dire, comme le dit le même Docteur : " Ils étaient entre nous et des nôtres par la communion des Sacrements, mais selon la particulière propriété de leurs vices ils ne l'étaient pas "; ils étaient déjà hérétiques en leur âme et de volonté, quoique selon l'apparence extérieure ils ne le fussent pas. Et n'est pas à dire que les bons ne soient pas avec les mauvais en l'Eglise, mais, au contraire, comme pouvaient-ils sortir de la compagnie de l'Eglise s'ils n'y étaient pas ? Ils étaient sans doute de fait, mais de volonté ils étaient déjà dehors.    

Enfin, voici un argument qui semble être assorti de forme et de figure : " Celui qui n'a pas Dieu pour père n'a pas l'Eglise pour mère " (St Cyprien, De Unit Eccl.), chose certaine; de même, celui qui n'a pas Dieu pour père n'aura point l'Eglise pour mère, très certain : or est-il que les réprouvés n'ont point Dieu pour père; donc ils n'ont point l'Eglise pour mère, et par conséquent les réprouvés ne sont pas en l'Eglise. Mais la réponse est belle. On reçoit le premier fondement de cette raison, mais le second, que les reprouvés ne sont pas des enfants de Dieu, a besoin d'être épluché. Tous les fidèles baptisés peuvent être appelés fils de Dieu pendant qu'ils sont fidèles, sinon qu'on  veuille ôter au Baptême le nom de régénération ou nativité spirituelle que Notre Seigneur lui à baillé (Jean, 3 : 5); que si on l'entend ainsi, il y a plusieurs réprouvés enfants de Dieu, car combien y a-t-il de gens fidèles et baptisés qui seront damnés, lesquels, comme dit la Vérité (Luc, 8 : 13), croient pour un temps, et au temps de la tentation se retirent en arrière : de façon qu'on niera tout court cette seconde proposition, que les reprouvés ne sont pas des enfants de Dieu; car étant dans l'Eglise ils peuvent être appelés enfants de Dieu par la création, rédemption, régénération, doctrine, profession de foi (Galates, 3 :1 et 6), quoique Notre Seigneur se lamente d'eux en cette sorte par Isaïe : " J'ai nourri et élevé des enfants et ils m'ont méprisé " (Isaïe, 1 : 2). Que si l'on veut dire que les réprouvés n'ont point Dieu pour père parce qu'ils ne seront point héritiers, selon la parole de l'Apôtre : " S'il est fils, il est héritier " (Galates, 4 : 7), nous nierons la conséquence, car non seulement les enfants sont dans l'Eglise, mais encore les serviteurs, avec cette différence que les enfants y demeureront à jamais comme héritiers, les serviteurs non, mais seront chassés quand bon semblera au Maître. Témoin le Maître même, en saint Jean (8 : 35), et le fils pénitent, qui savait bien reconnaître que plusieurs mercenaires avaient des pains en abondance chez son père, quoique lui, vrai et légitime fils, mourut de faim avec les pourceaux (Luc, 15 : 17) : ce qui rend preuve de la foi catholique pour ce sujet. O combien de serviteurs, puis-je dire avec l'Ecclésiaste (10 : 7), ont été vus à cheval, et combien de princes à pied comme valets; combien d'animaux immondes et de corbeaux en cette Arche ecclésiastique; ô combien de pommes belles et odoriférantes sont sur le pommier vermoulues au-dedans, qui néanmoins sont attachées à l'arbre et tirent le bon suc de tige. Qui aurait les yeux assez clairvoyants pour voir l'issue  de la course des hommes, verrait bien dans l'Eglise de quoi s'écrier : plusieurs sont appelés et peu sont élus; c'est-à-dire, plusieurs sont en la militante qui ne seront jamais en la triomphante. Combien sont dedans qui seront dehors, comme saint Antoine prévit d'Arius, et saint Fulbert de Bérengère. C'est donc chose certaine, que non seulement les élus mais les réprouvés encore peuvent être et sont de l'Eglise, et qui, pour la rendre invisible, n'y met que les élus, fait comme le mauvais disciple qui, pour ne secourir point son maître, s'excuse de n'avoir rien appris de son corps mais de son âme.

 

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