LES RÈGLES DE LA FOI
AVANT-PROPOS
Si l'avis que saint Jean donne (1 Jean, 4 : 1) de ne pas croire à toutes sortes d'esprits, fut jamais nécessaire, il l'est maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires esprits, avec une égale assurance, demandent créance parmi la chrétienté en vertu de la Parole de Dieu; après lesquels on a vu tant de peuples s'écarter, qui çà qui là, chacun à son humeur. Comme le vulgaire admire les comètes et les feux erratiques et croit que ce sont de vrais astres et vives planètes, tandis que les plus entendus connaissent bien que ce ne sont que des flammes qui se coulent en l'air le long de quelques vapeurs qui leur servent de pâture, et n'ont rien de commun avec les astres incorruptibles que cette grossière clarté qui les rend visibles; ainsi le misérable peuple de notre âge, voyant certaines chaudes cervelles s'enflammer à la suite de quelques subtilités humaines, éclairées de l'écorce de la Sainte Ecriture, a cru que c'étaient des vérités célestes et s'y est amusé, quoique les gens de bien et judicieux témoignent que ce n'étaient que des inventions terrestres qui, se consumants peu à peu, ne laisseraient autre mémoire d'elles que le ressentiment de beaucoup de malheurs qui suit ordinairement ces apparences.
O combien était-il nécessaire de ne pas s'abandonner à ces esprits, et premier que [avant] de les suivre, éprouver s'ils étaient de Dieu ou non (1 Jean, ubi sup.). Hélas ! il ne manquait pas de pierres de touche pour découvrir le bas or de leurs happelourdes [pierres fausses], car Celui qui nous fait dire que nous éprouvions les esprits, ne l'eut pas fait s'il n'eut su que nous avions des Règles infaillibles pour reconnaître le saint d'avec le faux esprit. Nous en avons donc, et personne ne le nie, mais les séducteurs en produisent de telles qu'ils les puissent fausser et plier à leurs intentions, afin qu'ayant les règles en main ils se rendent recommandables, comme par un signe infaillible de leur maîtrise, sous prétexte duquel ils puissent former une foi et religion telle qu'ils l'ont imaginée. Il importe donc infiniment de savoir quelles sont les vraies Règles de notre créance, car on pourra aisément connaître par là l'hérésie d'avec la vraie Religion, et c'est ce que je prétends faire voir en cette seconde Partie.
Voici mon projet. La foi chrétienne est fondée sur la parole de Dieu; c'est cela qui la met au souverain degré d'assurance, ayant comme garant cette éternelle et infaillible vérité; la foi qui s'appuie ailleurs n'est pas chrétienne : donc la Parole de Dieu est la vraie Règle de bien croire, puisque être Fondement et Règle en cet endroit n'est qu'une même chose. Mais parce que cette Règle ne règle point notre croyance sinon quand elle est appliquée, proposée et déclarée, et que ceci peut bien et mal faire, il ne suffit pas de savoir que la Parole de Dieu est la vraie et infaillible Règle de bien croire, si je ne sais quelle parole est de Dieu, où elle est, qui la doit proposer, appliquer et déclarer. J'ai beau savoir que la Parole de Dieu est infaillible, que pour tout cela je ne croirai pas que Jésus est le Christ Fils du Dieu vivant, si je ne suis assuré que ce soit une parole révélée par le Père céleste, et quand je saurai ceci, encore ne serai-je pas hors d'affaire, si je ne sais comme il le faut entendre, ou d'une filiation adoptive, à l'Arienne, ou d'une filiation naturelle, à la Catholique.
Il faut donc, outre cette première et fondamentale Règle de la Parole de Dieu, une autre seconde Règle par laquelle la première nous soit bien et dûment proposée, appliquée et déclarée; et afin que nous ne soyons pas sujets à l'ébranlement et à l'incertitude, il faut que non seulement la première Règle, à savoir la Parole de Dieu, mais encore la seconde, qui propose et applique cette Parole, soit du tout infaillible, autrement nous demeurons toujours en branle et en doute d'être mal réglés et appuyés en notre foi et croyance; non déjà par aucun défaut de la première Règle, mais par l'erreur et faute de la proposition et application de celle-ci. Certes, le danger est égal, ou d'être déréglé à faute d'une juste Règle, ou d'être mal réglé à faute d'une application bien réglée et juste de la Règle même. Mais cette infaillibilité, requise tant en la Règle qu'en son application, ne peut avoir sa source que de Dieu même, vive et première fontaine de toute vérité. Passons outre.
Or, comme Dieu révéla sa Parole et parla par la bouche des Pères et des Prophètes, et finalement en son Fils (Hébreux, 1 : 1-2), puis par les Apôtres et Evangélistes, dont les langues ne furent que comme plumes de secrétaires écrivant très promptement (Psaumes, 44 : 2), employant en cette sorte les hommes pour parler aux hommes, ainsi, pour proposer, appliquer et déclarer cette sienne Parole, il emploie son Epouse visible comme son truchement et l'interprète de ses intentions. C'est donc Dieu seul qui règle notre croyance chrétienne, mais avec deux instruments, en diverses façons : 1. par sa Parole, comme avec une Règle formelle; 2. par son Eglise, comme par la main du compasseur [celui qui mesure avec le compas] et régleur. Disons ainsi : Dieu est le peintre, notre foi la peinture, les couleurs sont la parole de Dieu, le pinceau c'est l'Eglise. Voilà donc deux Règles ordinaires et infaillibles de notre croyance : la Parole de Dieu qui est la Règle fondamentale et formelle, l'Eglise de Dieu qui est la Règle d'application et d'explication . Je considère en cette seconde Partie et l'une et l'autre; mais, pour en rendre le traité plus clair et maniable, j'ai divisé ces deux Règles en plusieurs, en cette sorte :
La Parole de Dieu, Règle formelle de notre foi, ou elle est en l'Ecriture ou en la Tradition : je traite premièrement de l'Ecriture, puis de la Tradition.
L'Eglise, qui est la Règle d'application, où elle se déclare en tout son corps universel par une croyance générale de tous les chrétiens, ou en ses principales et nobles parties par un consentement de ses pasteurs et docteurs; et en cette dernière façon, ou c'est en ses pasteurs assemblés en un lieu et en un temps, comme en un Concile général, ou c'est en ses pasteurs divisés de lieux et d'âge, mais assemblés en union et correspondance de foi, ou bien, enfin, cette même Eglise se déclare et parle par son chef ministériel : et ce sont quatre Règles explicatives et applicables pour notre foi, l'Eglise en corps, le Concile général, le consentement des Pères et le Pape; outre ces Règles, nous ne devons pas en rechercher d'autres, celles-ci suffisent pour affermir les plus inconstants.
Mais Dieu, qui se plaît en la surabondance de ses faveurs, voulant aider la faiblesse des hommes, ne laisse pas d'ajouter parfois à ces Règles ordinaires (je parle de l'établissement et fondation de l'Eglise) une Règle extraordinaire, très certaine et de grande importance; c'est le Miracle, témoignage extraordinaire de la vraie application de la Parole divine.
Enfin, la raison naturelle peut encore être dite une règle de bien croire, mais négativement, et non pas affirmativement; car qui dirait ainsi, telle proposition est article de foi, donc elle est selon la raison naturelle, cette conséquence affirmative serait mal tirée, puisque presque toute notre foi est hors et par dessus notre raison; mais qui dirait : cela est un article de foi, donc il ne doit pas être contre la raison naturelle, la conséquence est bonne, car la raison naturelle et la foi étant puisées de même source et sorties d'un même auteur, elles ne peuvent être contraires.
Voilà donc 8 règles de la foi : l'Ecriture, la Tradition, l'Eglise, le Concile, les Pères, le Pape, les Miracles, la Raison naturelle. Les deux premières ne sont qu'une Règle formelle, les quatre suivantes ne sont qu'une Règle d'application, la septième est extraordinaire, et la huitième, négative. Au reste, qui voudrait réduire toutes ces règles en une seule, dirait que l'unique et vraie Règle de bien croire c'est la Parole de Dieu, prêchée par l'Eglise de Dieu.
Or, j'entreprends ici de montrer, clair comme le beau jour, que vos réformateurs ont violé et forcé toutes ces Règles (et il suffirait de montrer qu'ils en ont violé l'une, puisqu'elles s'entretiennent tellement que qui en viole l'une viole toutes les autres); afin que, comme vous avez vu en la première partie qu'ils vous ont enlevés du giron de la vraie Eglise par schisme, vous connaissiez en cette seconde partie qu'ils vous ont ôté la lumière de la vraie foi par l'hérésie, pour vous tirer à la suite de leurs illusions. Et je me tiens toujours sur une même posture, car je prouve premièrement que les Règles que je produis sont très certaines et infaillibles, puis je fais toucher au doigt que vos docteurs les ont violées. C'est ici ou je vous appelle au nom de Dieu tout puissant, et vous somme de sa part de juger justement.
CHAPITRE PREMIER : QUE LES RÉFORMATEURS PRÉTENDUS ONT VIOLÉ LA SAINTE ÉCRITURE, PREMIÈRE RÈGLE DE NOTRE FOI
ARTICLE PREMIER : LA SAINTE ÉCRITURE EST UNE VRAIE RÈGLE DE LA FOI CHRÉTIENNE
Je sais bien, Dieu merci, que la Tradition a été devant [avant, i.e. a précédé] toute l'Ecriture, puisque même une bonne partie de l'Ecriture n'est que la Tradition réduite en écrit avec une infaillible assistance du Saint-Esprit; mais parce que l'autorité de l'Ecriture est plus aisément reçue par les réformateurs que par celle de la Tradition, je commence par cet endroit, pour faire une entrée plus aisée à mon discours.
La Sainte Ecriture est tellement Règle à notre créance [credo, foi] chrétienne, que celui qui ne croit pas tout ce qu'elle contient, ou croit qui quelque chose qui lui soit tant soit peu contraire, est infidèle. Notre Seigneur y a renvoyé les Juifs pour redresser leur foi (Jean, 5 : 39); les Sadducéens erraient pour ignorer les Ecritures (Marc, 12 : 24); c'est donc un niveau très assuré, c'est un flambeau luisant dans les obscurités, comme parle saint Pierre (2 Pierre, 1 : 19), qui, ayant lui-même entendu la voix du Père en la Transfiguration du Fils, se tient néanmoins pour plus assuré au témoignage des Prophètes qu'en cette sienne expérience (verset 17, 18). Mais je perds du temps; nous sommes d'accord en ce point, et ceux qui sont si désespérés que d'y contredire, ne savent pas appuyer leur contradiction que sur l'Ecriture même, se contredisant eux-mêmes avant de contredire l'Ecriture, se servant d'elle en la protestation qu'ils font de ne s'en vouloir servir.
ARTICLE II : COMBIEN ON DOIT ÊTRE JALOUX DE SON INTEGRITÉ
Je ne m'arrêterai pas non plus guère en cet endroit. On appelle la Sainte Ecriture le Livre du Vieux et du Nouveau Testament. Certes, quand un notaire a expédié un contrat ou autre Ecriture, personne n'y peut remuer, ôter, ajouter un seul mot sans être tenu pour faussaire : voici l'Ecriture des Testaments de Dieu, expédiée par les notaires à ses députés; comment peut-on l'altérer tant soit peu sans impiété ?
Les promesses ont été dites à Abraham, dit saint Paul (Galates, l : 3, 16), et à sa semence; il n'est pas dit " et ses semences ", comme en plusieurs, mais comme en une, et à ta semence, qui est Christ : voyez, je vous prie, combien la variation du singulier au pluriel eut gâté le sens mystérieux de cette parole. Notre Seigneur met en compte les iota, voire les seuls petits points et accents de ses saintes paroles (Matthieu, 5 : 18); combien donc est il jaloux de leur :intégrité ? Les Ephratéens disaient sibolleth, sans oublier une seule lettre, mais parce qu'ils ne prononçaient pas assez grassement, les Galaadites les égorgeaient sur le quai du Jourdain (Jud., 12 : 6). La seule différence de prononciation en parlant et en écrit, la seule transposition d'un point sur la lettre scin [sin ou schin] , faisait toute l'équivoque, et, changeant le jamin [un point à droite] en semol [un point à gauche], au lieu d'un épi de blé signifiait une charge ou fardeau. Qui change tant soit peu la sainte Parole mérite la mort, qui ose mêler le profane au sacré (Lévitique, 10 : 9-10). Les ariens corrompaient cette sentence de l'Evangile (Jean, 1, 1-2) : In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. Hoc erat in principio apud Deum, en remuant un seul point; car ils lisaient ainsi (Aug., l. 3, De Doct. Christiana, c. 2) : Et Verbum erat apud Deum, et Deus erat. (Ici ils mettaient le point, puis recommençaient la période) Verbum hoc erat in principio apud Deum. Ils mettaient le point après l'erat, au lieu de le mettre après le Verbum; ce qu'ils faisaient de peur d'être convaincus par ce texte que le Verbe est Dieu : tant il faut peu pour altérer cette sacrée Parole.
Quand le vin est meilleur il se ressent plutôt du goût étranger, et la symétrie d'un excellent tableau ne peut souffrir le mélange de nouvelles couleurs. Le sacré dépôt des Saintes Ecritures doit être gardé bien consciencieusement.
ARTICLE III : QUELS SONT LES LIVRES SACRÉS DE LA PAROLE DE DIEU
Tous les livres sacrés sont premièrement divisés en deux, en ceux du Vieux Testament et ceux du Nouveau : puis, autant les uns que les autres sont partagés en deux rangs; car il y a des Livres, tant du Vieux que du Nouveau Testament, dont on n'a jamais douté qu'ils ne fussent sacrés et canoniques, il y en a dont on a douté pour un temps, mais en fin ont été reçus avec ceux du premier rang.
Ceux du premier rang, de l'Ancien Testament, sont les cinq Livres de Moïse, Josué, les Juges, Ruth, 4 des Rois, 2 de Paralipomènes [ou des Chroniques], 2 d'Esdras et de Néhémie, Job, 150 Psaumes, les Proverbes, l'Ecclésiaste, les Cantiques, les 4 Prophètes plus grands, les douze moindres. Ceux-ci furent canonisés par le grand Synode où se trouva Esdras qui y fut scribe, et jamais personne ne douta de leur autorité qui ne fut tenu péremptoirement pour hérétique, comme notre docte Genebrard va déduisant en sa Chronologie. Le second rang contient ceux-ci : Ester, Baruch, une partie de Daniel, Tobie, Judith, la Sapience, [ou la Sagesse], l'Ecclésiastique, les Macchabées, premier et second. Et quant à ceux-ci il y a grande apparence, au dire du même docteur Genebrard, qu'en l'assemblée qui se fit en Jérusalem pour envoyer les 72 interprètes en Egypte, ces Livres, qui n'étaient encore en être [reçus, comptés] quand Esdras fit le premier canon, furent alors canonisés, au moins tacitement, puisqu'ils furent envoyés avec les autres pour être traduits; hormis les Macchabées, qui furent reçus en une autre assemblée par après, en laquelle les précédents furent derechef approuvés : mais comme que ce soit, parce que ce second canon ne fut pas fait si authentiquement que le premier, cette canonisation ne leur peut acquérir une entière et indubitable autorité parmi les Juifs, ni les égaler aux Livres du premier rang.
Ainsi dirai-je des Livres du Nouveau Testament, qu'il y en a du premier rang, qui ont toujours été reconnus pour sacrés et canoniques entre les catholiques : tels sont les 4 évangiles, selon saint Mathieu, saint Marc, saint Luc, saint Jean, les Actes des Apôtres, toutes les Epîtres de saint Paul hormis celle aux Hébreux, une de saint Pierre, une de saint Jean. Ceux du second rang sont l'Epître aux Hébreux, celle de saint Jacques, la seconde de saint Pierre, la seconde et troisième de saint Jean, celle de saint Jude, l'Apocalypse, et certaines parties de saint Marc, de saint Luc et de l'Evangile et Epître première de saint Jean : et ceux-ci ne furent pas d'indubitable autorité en l'Eglise au commencement, mais, avec le temps, enfin furent reconnus comme ouvrage sacré du Saint-Esprit, et non pas tout à coup, mais à diverses fois. Et premièrement, outre ceux du premier rang tant du Vieux que du Nouveau Testament, environ l'an 364 on reçut au Concile de Laodicée (Can 59) (qui depuis fut approuvé au Concile général sixième (1)), le livre d'Ester, l'Epître de saint Jacques, la 2. de saint Pierre, la 2 et 3 de saint Jean, celle de saint Jude, et l'Epître aux Hébreux comme la quatorzième de saint Paul. Puis, quelque temps après, au Concile 3 de Carthage (Can. 6-7), auquel se trouva saint Augustin, et a été confirmé au Concile Général, de Trulles, outre les Livres précédents du second rang, furent reçus au canon comme indubitables, Tobie, Judith, deux des Macchabées, la Sagesse, l'Ecclésiastique et l'Apocalypse; mais avant tous ceux du second rang, le Livre de Judith fut reçu et reconnu pour divin au premier général Concile de Nicée, ainsi que saint Jérôme en est témoin, en sa préface sur celui-ci. Voilà comme on assembla les deux rangs en un, et furent rendus d'égale autorité en l'Eglise de Dieu; mais avec progrès et succession, comme une belle aube se levant qui peu à peu éclaire notre hémisphère. Ainsi fut dressé au Concile de Carthage la même liste des Livres canoniques qui a depuis toujours été en l'Eglise catholique, et fut confirmée au sixième général (Can 2), au grand Concile de Florence en l'Union des Arméniens, et en notre âge au Concile de Trente, et fut suivie par saint Augustin (De Doct. Christiana, l. 2, c 8).
A peu que je n'ai oublié de dire : vous ne devez point entrer en scrupule sur ce que je viens de déduire, encore que Baruch ne soit pas nommément coté au Concile de Carthage, mais seulement en celui de Florence et de Trente; car, d'autant que Baruch était secrétaire de Jérémie (36 : 4), on mettait en compte parmi les Anciens le Livre de Baruch comme un accessoire ou appendice de Jérémie, le comprenant sous celui-ci, ainsi que cet excellent théologien Bellarmin le prouve en ses Controverses. Mais il me suffit d'avoir dit ceci; mon Mémorial n'est pas obligé de s'arrêter sur chaque particularité. En conclusion, tous les Livres, tant du premier que du second rang, sont également certains, sacrés et canoniques.
ARTICLE IV : PREMIÈRE VIOLATION DES SAINTES ÉCRITURES FAITE PAR LES RÉFORMATEURS, RETRANCHANT PLUSIEURS DE LEURS PARTIES.
Voilà les Livres sacrés et canoniques que l'Eglise a reçus et reconnus unanimement des douze cents ans en çà : et avec quelle autorité ont osé ces nouveaux réformateurs biffer tout en un coup tant de nobles parties de la Bible ? Ils ont raclé une partie d'Ester, Baruch, Tobie, Judith, la Sagesse, l'Ecclésiastique, les Maccabées; qui leur a dit que ces Livres ne sont pas légitimes et recevables ? Pourquoi démembrent-ils ainsi ce sacré corps des Ecritures ?
Voici leurs principales raisons, ainsi que j'ai peu recueillir de la vielle préface faite devant les Livres prétendus apocryphes imprimés à Neufchâtel, de la traduction de Pierre Robert, autrement Olivetanus, parent et ami de Calvin, et encore de la plus nouvelle, faite sur les mêmes Livres par les professeurs et pasteurs prétendus de l'Eglise de Genève, l'an 1588.
1 - " Ils ne se trouvent ni en hébreu ni en chaldéen, lesquelles langues jadis ont étés écrites (fors à l'aventure le Livre de la Sagesse), dont la grande difficulté serait de les restituer ";
2. - " Ils ne sont point reçus comme légitimes des Hébreux " ;
3. - " ni de toute l'Eglise ";
4. - Saint Jérôme dit qu'ils ne sont point estimés, " idoines ", pour " corroborer l'autorité des doctrines ecclésiastiques. " (Praefat. in lib. Salom., Ad Chromat. et Heliodor.);
5. - Le Droit Canon "en profère son jugement " (Can. Sta Romana Dist. XV decreti Ia pars);
6. - et la Glose (Can. Canones, Dist. XVI), " qui dit qu'on les lit mais non point en général, comme si elle voulait dire que généralement partout ne soient point approuvés ";
7. - " Ils ont été corrompus et falsifiés ", comme dit Eusèbe (L. 4, c. 22);
8. - " notamment les Macchabées ";
9. - et spécialement le second, que saint Jérôme dit " n'avoir trouvé en hébreu " (In Prologo galeato, ad libros Sam. et Mal.). Voilà les raisons d'Olivetanus;
10. - Il y a en ceux-ci " plusieurs choses fausses ", dit la nouvelle préface. Voyons maintenant ce que valent ces belles recherches.
1. Et quant à la première : êtes-vous d'avis de ne pas recevoir ces Livres parce qu'ils ne se trouvent pas en hébreu ou chaldéen ? Recevez donc Tobie, car saint Jérôme atteste qu'il l'a traduit du chaldéen en latin, en l'épître que vous citez vous-mêmes (Epistola ad Chromatium et Heliodorum (Praefat. in Tobium)), qui me fait croire que vous n'êtes guère gens de bonne foi; et Judith, pourquoi pas ? qui a aussi bien été écrit en chaldéen, comme dit le même saint Jérôme, au Prologue; et si saint Jérôme dit qu'il n'a pu trouver le 2. des Macchabées en hébreu, qu'en peut mais le premier ? recevez-le toujours à bon compte, nous traiterons par après du second. Ainsi vous dirai-je de l'Ecclésiastique, que saint Jérôme l'a eu et trouvé en hébreu, comme il dit en sa préface sur les Livres de Salomon. Puis donc que vous rejetez également ces Livres écrits en hébreu et en chaldéen avec les autres qui ne sont pas écrits en même langage, il vous faut chercher un autre prétexte que celui que vous avez allégué, pour racler ces Livres du canon : quand vous dites que vous les rejetez parce qu'ils ne sont écrits ni en hébreu ni en chaldéen, ce n'est pas cela, car vous ne rejetteriez pas, à ce compte, Tobie, Judith, le premier des Macchabées, l'Ecclésiastique, qui sont écrits ou en hébreu ou en chaldéen. Mais parlons maintenant pour les autres livres, qui sont écrits en autre langage que celui que vous voulez. Ou trouvez-vous que la Règle de bien recevoir les Saintes Ecritures soit qu'elles soient écrites en ces langages-là plutôt qu'en grec ou en latin ? Vous dites qu'il ne faut rien recevoir en matière de religion que ce qui est écrit, et apportez en votre belle préface le dire des jurisconsultes : Eribescimus sine lege loqui; vous semble-t-il pas que la dispute qui se fait sur la validité ou invalidité des Ecritures soit une des plus importantes en matière de religion ? Sus donc, ou demeurez honteux, ou produisez la Sainte Ecriture pour la négative que vous soutenez : certes, le Saint-Esprit se déclare aussi bien en grec qu'en chaldéen.
On aurait, dites-vous, " grande difficulté de les restituer ", puisqu'on ne les a pas en leur langue originale. Est-ce cela qui vous fâche ? Mais pour Dieu, dites-moi, qui vous a dit qu'ils sont perdus, corrompus ou altérés, pour avoir besoin de restitution ? Vous présupposez peut-être que ceux qui les auront traduits sur l'original auront mal traduit, et vous voudriez avoir l'original pour les collationner et les juger. Laissez-vous donc entendre et dites-vous qu'ils sont apocryphes parce que vous n'en pouvez pas être vous-même le traducteur sur l'original, et que vous ne vous pouvez pas vous fier au jugement du traducteur : il ni aura donc rien d'assuré que ce que vous aurez contrôlé ? Montrez-moi cette Règle d'assurance en l'Ecriture. Plus, êtes-vous bien assuré d'avoir les textes hébreux des Livres du premier rang ainsi purs et nets comme ils étaient au temps des Apôtres et dès 70 ? Prenez garde de vous méprendre; certes, vous ne les suivez pas toujours, et ne sauriez en bonne conscience : montrez-moi encore ceci en la Sainte Ecriture. Voilà donc votre première raison bien déraisonnable.
2. Quant à ce que vous dites que ces Livres que vous appelez apocryphes ne sont point reçus par les Hébreux, vous ne dites rien de nouveau ni d'important; saint Augustin proteste bien haut : " Libros Machabeorum non Judaei sed Ecclesia Catholica pro canonicis habet : Non les Juifs, mais l'Eglise catholique tient les Livres des Macchabées pour canoniques. " (l. 18, c. 36, Cité) Dieu merci, nous ne sommes pas juifs, nous sommes catholiques : montrez-moi par l'Ecriture que l'Eglise chrétienne n'aie pas autant de pouvoir pour autoriser les Livres sacrés qu'en avait la Mosaïque : il ni a en cela ni Ecriture ni raison qui le montre.
3. Oui, mais toute l'Eglise même ne les reçoit pas, dites-vous. Et de quelle Eglise entendez-vous ? Certes, l'Eglise catholique, qui est la seule vraie, les reçoit, comme saint Augustin vient de vous attester maintenant, et le répète encore ailleurs : le Concile de Carthage, celui de Trulles, 6. général, celui de Florence, et cent auteurs anciens, en sont témoins irréprochables et saint Jérôme nommément, qui atteste du livre de Judith qui fut reçu au Concile premier de Nicée. Peut- être voulez-vous dire qu'anciennement quelques catholiques douteront de leur autorité; c'est selon la division que j'ai faite ci-dessus : mais quoi pour cela ? Le doute de ceux-là peut-il empêcher la résolution de leurs successeurs ? Est-ce à dire que si l'on a pas tout résolu au premier coup, il faille toujours demeurer en branle, incertain et irrésolu ? N'a-t-on pas été pour un temps incertain de l'Apocalypse et d'Ester ? Vous ne l'oseriez nier, j'ai de trop bons témoins; d'Ester, saint Athanase et saint Grégoire de Nazianze, de l'Apocalypse, le Concile de Laodicée : et néanmoins vous les recevez; ou recevez-les tous, puisqu'ils sont d'égale condition, ou n'en recevez point, par même raison. Mais, au nom de Dieu, quelle humeur vous prend-il d'alléguer ici l'Eglise, l'autorité de laquelle vous tenez cent fois plus incertaine que ces Livres- mêmes, et que vous dites avoir été fautive, inconstante, voire apocryphe, si apocryphe veut dire caché; vous ne la prenez que pour la mépriser et la faire paraître inconstante, or avouant or désavouant ces Livres. Mais il y a bien à dire entre douter d'une chose si elle est recevable, et la rejeter : le doute n'empêche pas la résolution suivante, mais plutôt en est un préalable; rejeter présuppose résolution. Être inconstant ce n'est pas changer un doute en résolution, mais oui bien changer de résolution en doute; ce n'est pas instabilité de s'affermir après l'ébranlement, mais oui bien de s'ébranler après l'affermissement. L'Eglise donc, ayant pour un temps laissé ces Livres en doute, enfin les a reçus en résolution authentique; et vous voulez que de cette résolution elle retourne au doute. C'est le propre de l'hérésie et non de l'Eglise de profiter ainsi de mal en pis (2 Timothée, 3, 13) ; mais de ceci ailleurs.
4. Quant à saint Jérôme que vous alléguez, ce n'est rien à propos, puisque de son temps l'Eglise n'avait encore pas pris la résolution qu'elle a prise depuis, touchant la canonisation de ces Livres, hormis celui de Judith.
5. Et le canon Sancta Romana, qui est de Gélase premier, je crois que vous l'avez rencontré à tâtons, car il est tout contre vous; puisque, censurant les Livres apocryphes, il n'en nomme pas un de ceux que nous recevons, mais plutôt au contraire atteste que Tobie et les Maccabées étaient reçus publiquement en l'Eglise.
6. Et la pauvre Glose ne mérite pas que vous la glosiez ainsi, puisqu'elle dit clairement (Can. Canones, dist. 16 decreti Ia Pars) que " ces Livres sont lus, mais non peut-être généralement ". Ce " peut-être " là garde de mentir, et vous l'avez oublié; et si elle met en compte ces Livres dont est question, comme apocryphes, c'est parce qu'elle croyait que apocryphe voulut dire n'avoir point de certain auteur, et partant y enrôle comme apocryphe le Livre des Juges : et sa sentence n'est pas si authentique qu'elle passe en chose jugée; enfin, ce n'est qu'une glose.
7. Et ces falsifications que vous alléguez ne sont en point de façon suffisantes pour abolir l'autorité de ces Livres, parce qu'ils ont été justifiés et épurés de toute corruption avant que l'Eglise les reçut. Certes, tous les Livres de la Sainte Ecriture ont été corrompus par les anciens ennemis de l'Eglise, mais, par la Providence de Dieu, ils sont demeurés francs et nets en la main de l'Eglise comme un sacré dépôt, et jamais on n'a pu gâter tant d'exemplaires qu'il n'en soit assez demeuré pour restaurer les autres.
8. Mais vous voulez surtout que les Maccabées nous tombe des mains, quand vous dites qu'ils ont étés corrompus; or, puisque vous n'avances qu'une simple affirmation, je n'y parerai que par une simple négation.
9. Saint Jérôme dit qu'il n'a su trouver le 2. en hébreu; eh bien ! que le premier y soit; le second n'est que comme une épître que les Anciens d'Israël envoyèrent aux frères juifs qui étaient hors de la Judée, et si elle est écrite au langage le plus connu et commun de ce temps-là, s'ensuit-il qu'elle ne soit pas recevable ? Les Egyptiens avaient en usage le langage grec beaucoup plus que l'hébreu, comme montra bien Ptolémée quand il procura la version des 72 ; Voilà pourquoi ce 2. Livre des Maccabées, qui était comme une épître ou commentaire envoyé pour la consolation des Juifs qui habitaient en Egypte, a été écrit en grec plutôt qu'en hébreu.
10. Reste que les nouveaux préfaciers montrent ces faussetés dont ils accusent ces Livres, ce qu'à la vérité ils ne feront jamais; mais je les vois venir : ils produiront l'intercession des saints, la prière pour les trépassés, le libre arbitre, l'honneur des reliques et semblables points, qui sont expressément confirmés dans les Livres des Maccabées, en l'Ecclésiastique et autres Livres qu'ils prétendent apocryphes. Prenez garde, pour Dieu, que votre jugement ne vous trompe; pourquoi, je vous prie, appelez-vous faussetés ce que toute l'antiquité a tenu pour articles de foi ? Que ne censurez-vous doctrine de ces Livres, que de censurer ces Livres, reçus de si longtemps, parce qu'ils ne secondent pas à vos humeurs ? parce que vous ne voulez pas croire ce que les Livres enseignent, vous les condamnez ; et que ne condamnez-vous plutôt votre témérité, qui se rend incrédule à leurs enseignements ?
Voilà, ce me semble, toutes vos raisons évanouies, et n'en sauriez produire d'autres; mais nous saurons bien dire, que s'il est ainsi loisible indifféremment de rejeter ou révoquer en doute l'autorité des Ecritures desquelles on a douté, quoique l'Eglise en ait déterminé, il faudra rejeter ou douter d'une grande partie du Vieux et du Nouveau Testament. Ce n'est donc pas un petit gain à l'ennemi du christianisme, d'avoir de plein saut raclé en la Sainte Ecriture tant de nobles parties. Passons outre.
ARTICLE V : SECONDE VIOLATION DES ÉCRITURES PAR LA RÈGLE QUE LES RÉFORMATEURS PRODUISENT POUR DISCERNER LES LIVRES SACRÉS D'AVEC LES AUTRES ET DE QUELQUES MENUS RETRANCHEMENTS QUI S'ENSUIVENT
Le marchand rusé tient en montre les moindres pièces de sa boutique, et les offre les premières aux acheteurs, pour essayer s'il les pourra déduire et vendre à quelque niais. Les raisons que les réformateurs ont avancées au chapitre précédent ne sont que biffes, comme nous avons vu, dont on se sert comme d'amusement, pour voir si quelque simple et faible cervelle s'en voudrait contenter : et de fait, quand on vient au joindre, ils confessent que ni l'autorité de l'Eglise, ni de saint Jérôme, ni de la Glose, ni du chaldéen, ni de l'hébreu, n'est pas cause suffisante pour recevoir ou rejeter quelque Ecriture. Voici leur protestation en la Confession de foi présentée au roi de France par les Français prétendus réformés : après qu'ils ont mis en liste, en l'Article troisième, les Livres qu'ils veulent recevoir, ils écrivent ainsi en l'Article quatrième : " Nous connaissons ces Livres être canoniques et Règle très certaine de notre foi, non tant par le commun accord et consentement de l'Eglise, que par le témoignage et persuasion intérieure du Saint-Esprit, qui nous les fait discerner d'avec les autres livres ecclésiastiques ". Quittant donc le champ des raisons précédentes pour se mettre à couvert, ils se jettent dans l'intérieure, secrète et invisible persuasion qu'ils estiment être faite en eux par le Saint-Esprit.
Or, à la vérité, c'est bien leur procédé de ne vouloir s'appuyer en cet article sur le commun accord et consentement de l'Eglise; puisque ce commun accord a canonisé l'Ecclésiastique, les Livres des Macchabées, tout autant et aussitôt que l'Apocalypse, et néanmoins ils veulent recevoir celui-ci et rejeter ceux-là : Judith, autorisé par le grand premier et irréprochable Concile de Nicée, est biffé par les réformateurs; ils ont donc raison de confesser qu'en la réception des Livres canoniques, ils ne reçoivent point l'accord et consentement de l'Eglise, qui ne fut jamais plus grand ni solennel qu'en ce premier Concile. Mais pour Dieu, voyez la ruse. " Nous connaissons ", disent ils, " ces Livres être canoniques, non tant par le commun accord de l'Eglise " : à les entendre parler, ne diriez-vous pas qu'au moins en quelque façon ils se laissent guider par l'Eglise ? Leur parler n'est pas franc : il semble qu'ils ne refusent pas du tout crédit au commun accord des chrétiens, mais que seulement ils ne le reçoivent pas à même degré que leur persuasion intérieure, et néanmoins ils n'en tiennent aucun compte; mais ils vont ainsi retenus en leur langage pour ne paraître pas du tout incivils et déraisonnables. Car, je vous prie, s'ils déferaient tant soit peu à l'autorité ecclésiastique, pourquoi recevraient-ils plutôt l'Apocalypse que Judith ou les Macchabées, desquels saint Augustin et saint Jérôme nous sont fidèles témoins qu'ils ont été reçus unanimement de toute l'Eglise Catholique ? et les Conciles de Carthage, Trulles, de Florence, nous en assurent. Pourquoi, disent-ils donc, qu'ils ne reçoivent pas les Livres sacrés " tant par le commun accord de l'Eglise que par l'intérieure persuasion " ? puisque le commun accord de l'Eglise n'y a ni rang ni lieu. C'est leur coutume, quand ils veulent produire quelque opinion étrange, de ne parler pas clair et net, pour laisser à penser aux lecteurs quelque chose de mieux.
Maintenant, voyons quelle règle ils ont pour discerner les Livres canoniques d'avec les autres ecclésiastiques : " le témoignage ", disent ils, " est persuasion intérieure du Saint-Esprit ". O Dieu, quelle cachette, quel brouillard, quelle nuit; ne nous voilà pas bien éclaircis en un si important et grave différend ? On se demande comment l'on peut connaître les Livres canoniques, on voudrait bien avoir quelque règle pour les discerner, et l'on nous produit ce qui se passe en l'intérieur de l'âme, que personne ne voit, personne ne connaît, sinon l'âme même et son Créateur.
1.- Montrez-moi clairement que ces inspirations et persuasions que vous prétendez sont du saint et non du faux esprit; qui ne sait que l'esprit des ténèbres comparait bien souvent en habit de lumière ?
2. - Montrez-moi clairement que, lors que vous me dites que telle et telle inspiration se passe en votre conscience, vous ne mentez point, vous ne me trompez point. Vous dites que vous sentez cette persuasion en vous, mais pourquoi suis-je obligé de vous croire ? Votre parole est-elle si puissante, que je sois forcé sous son autorité de croire que vous pensez et sentez ce que vous dites ? Je veux vous tenir pour gens de bien, mais quand il s'agit des fondements de ma foi, comme de recevoir ou rejeter les Ecritures ecclésiastiques, je ne trouve ni vos pensées ni vos paroles assez fermes pour me servir de base.
3. - Cet esprit fait-il ses persuasions indifféremment à chacun, ou seulement à quelques-uns en particulier ? Si à chacun, et que veut dire que tant de milliers de catholiques ne s'en sont jamais aperçus, ni tant de femmes, de laboureurs et autres parmi vous ? Si c'est à quelques-uns en particulier, montrez-les moi, je vous prie, et pourquoi à ceux-là plutôt qu'aux autres ? Quelle marque me les fera connaître et trier de la presse du reste des hommes ? Me faudra-il croire au premier qui dira d'en être ? Ce serait trop nous mettre à l'abandon et à la merci des séducteurs : montrez-moi donc quelque règle infaillible pour connaître ces inspirés et persuadés, ou permettez-moi de n'en croire aucun..
4. - Mais en conscience, vous semble-il que l'intérieure persuasion soit un moyen suffisant pour discerner les Saintes Ecritures, et mettre les peuples hors du doute ? Que veut donc dire que Luther racle [enlève] l'Epître de saint Jacques, laquelle Calvin reçoit ? Accordez un peu, je vous prie, cet esprit et sa persuasion, qui persuade à l'un de rejeter ce qu'il persuade à l'autre de recevoir. Vous direz peut-être que Luther se trompe, il en dira tout autant de vous; à qui croire ? Luther se moque de l'Ecclésiaste, il tient Job pour fable; lui opposerez-vous votre persuasion ? Il vous opposera la sienne : ainsi cet esprit, se combattant soi-même, ne vous laissera pas d'autre résolution que de vous bien opiniâtrer de part et d'autre.
5. - .Puis, quelle raison y a-t-il que le Saint-Esprit aille inspirant ce que chacun doit croire à des je ne sais qui, à Luther, à Calvin, ayant abandonné sans aucune telle inspiration les Conciles et l'Eglise tout entière ? Nous ne nions pas, pour parler clairement, que la connaissance des vrais Livres sacrés ne soit un don du Saint-Esprit, mais nous disons que le Saint-Esprit la donne aux particuliers par l'entremise de l'Eglise. Certes, quand Dieu aurait révélé mille fois une chose à quelque particulier nous ne serions pas obligés de le croire, sinon que Dieu le marquât tellement que nous ne puissions plus révoquer en doute sa fidélité; mais nous ne voyons rien de tel en vos réformateurs. En un mot, c'est à l'Eglise générale que le Saint-Esprit adresse immédiatement ses inspirations et persuasions, puis, par la prédication de l'Eglise, il les communique aux particuliers ; c'est l'Epouse en laquelle le lait est engendré, puis les enfants le sussent de ses mamelles : mais vous voulez, au rebours, que Dieu inspire aux particuliers, et par leur moyen à l'Eglise, que les enfants reçoivent le lait, et que la mère soit nourrie à leurs tétins; chose absurde.
Or, si l'Ecriture n'est violée et sa majesté lésée par l'établissement de ces intérieures et particulières inspirations, jamais elle ne fut ni ne sera violée; car ainsi la porte est ouverte à chacun de recevoir ou rejeter des Ecritures ce que bon lui semblera. Hé ! de grâce, pourquoi permettra-t-on plutôt à Calvin de racler [d'enlever] la Sapience [la Sagesse] ou les Maccabées, qu'à Luther de lever [d'enlever] l'Epître de saint Jacques ou l'Apocalypse, ou à Castalio, le Cantique des Cantiques, ou aux Anabaptistes, l'Evangile de saint Marc, ou a un autre, la Genèse et l'Exode ? Si tous protestent de l'intérieure révélation, pourquoi croira-t-on plutôt l'un que l'autre ? Ainsi cette Règle sacrée, sous prétexte du Saint-Esprit demeurera déréglée, par la témérité de chaque séducteur.
Connaissez, je vous prie, le stratagème. On a enlevé toute autorité à la Tradition, à l'Eglise, aux Conciles; que demeure-t-il de plus ? L'Ecriture. L'ennemi est fin; s'il voulait l'arracher tout à coup il donnerait l'alarme; il établit un moyen certain et infaillible pour l'enlever pièce à pièce tout bellement, c'est cette opinion de l'intérieure inspiration, par laquelle chacun peut recevoir ou rejeter ce que bon lui semble : et de fait, voyez un peu le progrès de ce dessein. Calvin ôte et racle du canon, Baruch, Tobie, Judith, la Sapience, l'Ecclésiastique, les Maccabées : Luther lève l'Épître de saint Jacques, de saint Jude, la 2. de saint Pierre, la 2 et 3. de saint Jean, l'Epître aux Hébreux; il se moque de l'Ecclésiaste, et tient Job pour fable. En Daniel, Calvin a biffé le cantique des trois enfants, l'histoire de Susanne et celle du dragon de Bel; item, une grande partie d'Ester. En l'Exode on a enlevé, à la Genèse et ailleurs, parmi ces réformateurs, le 22e verset du 2e chapitre, lequel est de telle substance que ni les 70 ni les autres traducteurs ne l'auraient jamais écrit s'il n'eut été dans les originaux. De Bèze met en doute l'histoire de l'adultère en l'Evangile de saint Jean (saint Augustin avise que pieça [il y a longtemps ou quelque temps] les ennemis du christianisme l'avaient rayée de leurs livres, mais non pas de tous, comme dit saint Jérôme). Dans les mystérieuses paroles de l'Eucharistie, ne veut-on pas ébranler l'autorité de ces mots, Qui pro vobis funditur (Luc, 22, 20), parce que le texte grec montre clairement que ce qui était dans le calice n'était pas du vin, mais le sang du Sauveur ? comme qui dirait en français : " Ceci est la coupe du nouveau testament en mon sang, laquelle sera répandue pour vous "; car en cette façon de parler, ce qui est en la coupe doit être le vrai sang, non le vin, puisque le vin n'a pas été répandu pour nous, mais le sang, et que la coupe ne peut être versée qu'a raison de ce qu'elle contient. Qui est le couteau avec lequel on a fait tant de retranchements ? L'opinion de ces inspirations particulières; qu'est-ce qui fait si hardis vos réformateurs à racler, l'un cette pièce, l'autre celle-là, et l'autre une autre ? Le prétexte de ces intérieures persuasions de l'esprit, qui les rend souverains, chacun chez soi, au jugement de la validité ou invalidité des Ecritures.
Au contraire, Messieurs, saint Augustin proteste : " Ego vero Evangelio non crederem, nisi me Catholicae Ecclesiae commoveret authoritas : Je ne croirais pas à l'Evangile si l'autorité de l'Eglise Catholique ne m'émouvait "; et ailleurs : " Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctae Ecclesiae Catholicae tradit authoritas : Nous recevons le Vieux et le Nouveau Testament au nombre de Livres que l'autorité de la sainte Eglise Catholique propose ". Le Saint-Esprit peut inspirer ce que bon lui semble, mais quant à l'établissement de la foi publique et générale des fidèles, il ne nous adresse qu'à l'Eglise; c'est à elle de proposer quelles sont les vraies Ecritures, et quelles non : non qu'elle puisse donner vérité ou certitude à l'Ecriture, mais elle peut bien nous faire certains et assurés de la sa certitude. L'Eglise ne saurait rendre un livre canonique s'il ne l'est, mais elle peut bien le faire reconnaître pour tel, non pas changeant la substance du livre, mais changeant la persuasion des chrétiens, la rendant toute assurée de ce dont elle était douteuse. Que si jamais Notre Rédempteur défend son Eglise contre les portes d'enfer, si jamais le Saint-Esprit l'inspire et conduit, c'est en cette occasion; car ce serait bien la laisser du tout et au besoin, s'il la laissait en ce cas duquel dépend le gros de Notre religion. Pour vrai, nous serions très mal assurés si nous appuyons notre foi sur ces particulières inspirations intérieures, que nous ne savons si elles sont ou furent jamais que par le témoignage de certains particuliers; et supposé qu'elles soient ou aient été, nous ne savons si elles sont du vrai ou faux esprit; et supposé qu'elles soient du vrai esprit, nous ne savons si ceux qui les récitent les récitent fidèlement ou non, puisqu'ils n'ont aucune marque d'infaillibilité. Nous mériterions d'être abîmés, si nous nous jetions hors le navire de la publique sentence de l'Eglise, pour voguer dans le misérable esquif de ces persuasions particulières, nouvelles, discordantes; notre foi ne serait plus catholique, mais plutôt particulière.
Mais avant que je parte d'ici, je vous prie, réformateurs, dites-moi où vous avez pris le canon des Ecritures que vous suivez. Vous ne l'avez pas pris des Juifs, car les Livres évangéliques n'y seraient pas, ni du Concile de Laodicée, car l'Apocalypse n'y serait pas, ni du Concile de Carthage ou de Florence, car l'Ecclésiastique et les Maccabées y seraient. Où l'avez-vous donc pris ? Pour vrai, jamais il ne fut parlé de semblable canon avant vous; l'Eglise ne vit jamais canon des Ecritures où il n'y eut ou plus ou moins qu'au vôtre : quelle apparence y a-t-il que le Saint-Esprit se soit recelé à toute l'antiquité, et qu'après 1500 il ait découvert à certains particuliers le rôle des vraies Ecritures ? Pour nous, nous suivons exactement la liste du Concile Laodicée, avec l'addition faite au Concile de Carthage et de Florence; jamais homme de jugement ne laissera ces Conciles pour suivre les persuasions des particuliers.
Voilà donc la fontaine et la source de toute la violation qu'on a fait de cette sainte Règle; c'est quand on s'est imaginé de ne la recevoir qu'a la mesure et Règle des inspirations que chacun croit et pense sentir.
ARTICLE VI : COMBIEN LA MAJESTÉ DES SAINTES ÉCRITURES A ÉTÉ VIOLÉE DANS LES INTERPRÉTATIONS ET VERSIONS DES HÉRÉTIQUES
Afin que les religionnaires de ce temps déréglassent du tout cette première et très sainte Règle de notre foi, ils ne se sont pas contentés de l'accourcir et défaire de tant de belles pièces, mais l'ont contournée et détournée chacun à sa poste, et au lieu d'ajuster leur savoir à cette Règle, ils l'ont réglée elle-même à l'équerre de leur propre suffisance, ou petite ou grande. L'Eglise avait généralement reçu, il y a plus de mille ans, la version latine que l'Eglise catholique produit, saint Jérôme, tant savant homme, en était l'auteur ou le correcteur; quand voici en notre âge s'élever un épais brouillard de l'esprit de tournoiement (Isaïe, 19 : 14), lequel a tellement ébloui ces regratteurs [retoucheurs maladroits] de vieilles opinions qui ont couru ci-devant, que chacun a voulu tourner, qui d'un côté qui de l'autre, et chacun au biais de son jugement, cette sainte sacrée Ecriture de Dieu : en quoi, qui ne voit la profanation de ce vase sacré de la sainte lettre, dans laquelle se conservait le précieux baume de la doctrine évangélique ? Car, n'eut-ce pas été profaner l'Arche de l'alliance, si quelqu'un eut voulu maintenir qu'un chacun la pouvait prendre, la porter chez soi et la démonter toute et dépecer, puis lui bailler telle forme qu'il eut voulu, pourvu qu'il y eut quelque apparence d'Arche ? Et qu'est ce autre chose soutenir que l'on peut prendre les Ecritures, les tourner et accommoder chacun selon sa suffisance ? Et néanmoins, dès lors qu'on assure que l'édition ordinaire de l'Eglise est si difforme qu'il la faut rebâtir tout à neuf, et qu'un homme particulier y met la main et commence ce train, la porte est ouverte à la témérité : car si Luther l'ose faire, et pourquoi pas Erasme ? Et si Erasme, pourquoi pas Calvin ou Melanchthon ? Pourquoi pas Henricus Mercerus, Sebastien Castalio, Bèze, et le reste du monde ? Pourvu qu'on sache quelques vers de Pindare, et quatre ou cinq mots d'hébreu, auprès de quelques bons trésors de l'une et l'autre langue. Et comme se peuvent faire tant de versions, par si différentes cervelles, sans la totale éversion [ruine] de la sincérité de l'Ecriture ?
Que dites-vous ? Que l'édition ordinaire est corrompue ? Nous avouons que les transcripteurs et les imprimeurs y ont laissé couler certaines équivoques, de fort peu d'importance (si toutefois il y a rien en l'Ecriture qui puisse être dit de peu d'importance), lesquelles le Concile de Trente (sess. IV) commande d'être levées, et que d'ores en avant [dès maintenant] on prenne garde à faire imprimer l'Ecriture le plus correctement qu'il sera possible; au reste, il n'y a rien qui n'y soit très sortable au sens du Saint-Esprit qui en est l'auteur : comme ont montré ci-devant tant de doctes gens des nôtres (Genbrard, in praef. Psalt. et in Psalt.; Titelman in Prol Apaulogetico; Toletan, in I pag. Apaul.; Belarminus (Controv. De Verbo Dei, l. 2, c. 9-14), et alii), qui se sont opposés à la témérité de ces nouveaux formateurs de religion, que ce serait perdre temps d'en vouloir parler davantage; outre ce que ce serait folie à moi de vouloir parler de la naïveté des traductions, qui ne sus jamais bonnement lire avec les points en l'une des langues nécessaires à cette connaissance, et ne suis guère plus savant en l'autre. Mais quoi ? Qu'avez-vous fait de mieux ? Chacun a prisé la sienne, chacun a méprisé celle d'autrui; on a tournaïllé [fait beaucoup de tours et de détours sans s'éloigner, tergiversé] tant qu'on a voulu, mais personne ne se compte de la version de son compagnon : qu'est-ce autre chose que renverser la majesté de l'Ecriture, et la mettre en mépris vers les peuples, qui pensent que cette diversité d'éditions vienne plutôt de l'incertitude de l'Ecriture que de la bigarrure des traducteurs ? Bigarrure laquelle seule nous doit mettre en assurance de l'ancienne traduction, laquelle, comme dit le Concile, l'Eglise a si longuement, si constamment et si unanimement approuvée.
ARTICLE VII : DE LA PROFANATION DANS LES VERSIONS VULGAIRES
Que s'il en va ainsi des versions latines, combien est grand le mépris et profanation qui s'est faite dans les versions françaises, allemandes, polonaises et autres langues : et néanmoins voici un des plus prégnants artifices que l'ennemi du christianisme et d'unité ait employé en notre âge pour attirer les peuples à ses cordelles [à son parti]; il connaissait la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement propre, et partant il a induit tous les sectaires à traduire les Saintes Ecritures, chacun en la langue de la province où il se cantonne, et à maintenir cette opinion [...] que chacun était capable d'entendre les Ecritures, que tous devaient les lire, et que les offices publics devaient se célébrer et chanter en la langue vulgaire de chaque province.
Mais qui ne voit le stratagème ? Il ni a rien au monde qui passant par plusieurs mains ne s'altère et perde son premier lustre. Le vin qu'on a beaucoup versé et reversé s'évente et perd sa force, la cire étant maniée change couleur, la monnaie en perd ses caractères; croyez aussi que l'Ecriture Sainte, passant par tant de divers verseurs, en tant de versions et reversions, ne peut qu'elle ne s'altère. Que si aux versions latines il y a tant de variété d'opinions entre ces tournoyeurs [girouettes], combien y en a-t-il davantage dans les éditions vulgaires et maternelles d'un chacun, éditions que chacun ne peut pas reprendre ni contrôler. C'est une bien grande licence à ceux qui traduisent, de savoir qu'ils ne seront point contrôlés que par ceux de leur province même; chaque province n'a pas tant d'yeux clairvoyants comme la France et l'Allemagne. " Savons-nous bien ", dit un docte profane, " qu'en Basque et en Bretagne il y ait des juges assez pour établir cette traduction faite en leur langue ? L'Eglise universelle n'a point de plus ardu jugement à faire " (Montaigne, l. 1, c. 56). C'est l'intention de Satan de corrompre l'intégrité de ce testament; il sait ce qu'il importe de troubler la fontaine et de l'empoisonner, c'est gâter toute la troupe également.
Mais disons candidement; ne savons-nous pas que les Apôtres parlaient toutes les langues (Actes, 2 : 9-11) ? Et que veut dire qu'ils n'écrivirent leurs Evangiles et Epîtres qu'en hébreu, comme saint Jérôme atteste de l'Evangile de saint Matthieu (praefat. In Math.), en latin, et en grec, comme on tient des autres Evangiles; qui furent les trois langues choisies (Ex pontificali Damasi, in vita Petri (Concilia an 43) ; Hilar., Praef. in Psalmos, 15), dès la Croix même de Notre Seigneur, pour la prédication du Crucifix ? Ne portèrent-ils pas l'Evangile par tout le monde, et au monde n'y avait-il point d'autre langage que ces trois là ? Si avait la vérité (Actes, 2 : 11), et néanmoins ils ne jugèrent pas être expédient de diversifier en tant de langues leurs écrits : qui méprisera donc la coutume de notre Eglise, qui a pour son garant l'imitation des Apôtres ? De quoi nous avons une notable trace et piste en l'Evangile : car le jour que Notre Seigneur entra en Jérusalem, les troupes allaient criant : " Hosanna filio David ; benedictus qui venit in nomine Domini ; hosanna in excelsis " (Matthieu, 21, 9); et cette parole, " Hosanna " [de l'hébreu : Dieu son secours], a été laissée en son entier parmi les textes grecs de saint Marc et saint Jean, signe que c'était la même parole du peuple : or est-il que " Hosanna ", ou bien " Osianna " (l'un vaut l'autre, disent les doctes en la langue (Genbrard, in Psal., 117, 24), est une parole hébraïque, non syriaque, prise, avec le reste de cette louange-là qui fut donnée à Notre Seigneur, du Psaume 117. Ces peuples, donc, avaient accoutumé de dire les Psaumes en hébreu, et néanmoins l'hébreu n'était plus leur langue vulgaire, ainsi qu'on peut connaître de plusieurs paroles dites en l'Evangile par Notre Seigneur, qui étaient syriaques, que les Evangélistes ont gardées, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha et autres, que les doctes tiennent n'être pas hébraïques pures mais syriaques, quoiqu'elles soient appelées hébraïques parce que c'était la langage vulgaire des Hébreux de la captivité de Babylone. Laquelle, outre le grand poids qu'elle doit avoir pour contrebalancer toutes nos curiosités, a une raison que je tiens pour très bonne; c'est que ces autres langues ne sont point réglées, mais de ville en ville se changent en accents, en phrases et en paroles, elles se changent de saison en saison, et de siècle en siècle. Qu'on prenne en main les Mémoires du sire de Joinville, ou encore celles de Philippe de Commines, on verra que nous avons du tout changé leur langage qui néanmoins devaient être des plus polis de leur temps, étant tous deux nourris en cour.